EXTRAIT d’un article paru dans la Revue GAMT de Juin 1999, lui-
LORSQUE, depuis la loi Guizot, une École Normale primaire fonctionnait, en principe, dans chaque département de la Métropole, l’Algérie n’avait encore, trente-
“A quelques kilomètres d’Alger, sur un mamelon que couronnent les pittoresques coteaux de Mustapha. et qui, d’autre part, domine la mer (1)... Il est au monde peu de sites aussi riants que celui de Mustapha-
Fondée par décret impérial en date du 4 mars 1865 et arrêté ministériel du 3 août de la même année, c’est là, dans ce “site riant”, aujourd’hui occupé par le Musée des Antiquités et le Parc de Galland, que s’installa la première École Normale d’instituteurs de l’Algérie. Elle utilisa d’abord une “vieille maison mauresque”, dite de Bellevue, à laquelle furent greffées certaines constructions annexes appropriées à leur destination spéciale.
Le 16 décembre 1865, la Commission de Surveillance (2) établissait un projet d’organisation du nouvel Etablissement, lequel commençait à fonctionner, dès le 16 janvier suivant, sous l’autorité de M. LEDUC, précédemment directeur de l'École Normale des Basses-
Le 8 septembre suivant, sous la présidence de M. l’inspecteur d’Académie VIGNALLY, la Commission se réunissait pour entendre le rapport de fin d’année de M. LEDUC, Directeur-
Voici les noms des élèves de la promotion entrante :
CASSAGNADE Jules d'Alger, REICHERT François de Boufarik ; BREIFFEITH Jean de Bouzaréa VILLENEUVE Marie de Saint-
Seule, la première année fut recrutée dans la colonie, après un concours auquel se présentèrent trente-
“...les élèves-
Les deux promotions de seconde et de troisième année ont été choisies dans les “divisions correspondantes” des six départements du Midi, pour “asseoir dès l’origine les traditions des Écoles Normales de France”.
Voici les noms de ces élèves; en 3ème année, nous trouvons : MM. PROUZAT Pierre de l'École Normale de Poitiers; BARTHELEMY Etienne de l’Ecole Normale du Puy; FOUGEROUSSE Jean de l'Ecole Normale de Clermont-
Les trente élèves des trois promotions étaient tous en uniforme : tunique “en drap bleu foncé avec liserés bleu-
M.LEDUC,le personnel et les élèves de 1866
(1)Ra pport de la Commission de Surveillance (8 septembre1866)
(2)Cette commission chargée, comme dans toutes les Ecoles Normales de France de l’époque, non seulement de la surveillance, mais encore de l’administration de ce ces établissements, comprenait MM TELLIER, secrétaire général de la Préfecture;LAIR inspecteur des lignes télégraphiques, en retraite, membre du Conseil Général de la Province ; LANGLOIS, capitaine d’ artillerie, attaché au Bureau Politique; HASSEN ben BRIMATE directeur de la Medersa d’ ALGER membre du Conseil Général et LEDUC ,directeur de l’ École
Les études en 1866.
D’après l’article premier du règlement, l’enseignement comprenait obligatoirement l’instruction morale et religieuse, la pédagogie, l’écriture, la lecture et la récitation, la langue française, l’arithmétique, le calcul et le système métrique, des notions d’algèbre et de géométrie, le dessin l’histoire, la géographie, des notions élémentaires de mécanique et d’industrie, de physique, chimie, histoire naturelle”, d’agriculture et horticulture, “d’administration et d’état civil”, le chant et l’orgue, la gymnastique et l’hygiène. En outre, en 1876, le Ministre de l’Instruction Publique autorise le Recteur d’Alger à faire donner aux élèves-
La Journée d'un élève maître de Mustapha.
UNE journée trop bien remplie ! A quatre heures et demie, été comme hiver, le réveil sonne; sous la surveillance du maître de service, M. MONTANET, M. BOUSQUET ou M. SEVIN, chaque élève fait sa toilette, puis son lit; à cinq heures moins dix, c’est la descente en étude, «en silence et en ordre», puis, dans chaque étude, celle des chrétiens et celle des musulmans, on récite la prière. Après quoi, commence la préparation des classes du matin qui se poursuit« dans le silence le plus rigoureux », jusqu’à sept heures et demie.
Une heure est prévue pour le petit déjeuner, les «services d’appropriation» confiés aux élèves et la récréation. A huit heures et demie, le réglementaire sonne l’entrée en classe. Voici, attendant chaque promotion, les professeurs, M. LEDUC en tête qui enseigne la pédagogie, M. l’abbé FABRE professeur de religion, ainsi que Sidi ABD-
Les classes du matin durent 4 heures sans interruptions autres que les changements de cours, lesquels doivent se faire rapidement et en silence. A midi et demie, la cloche annonce le dîner; les élèves se rendent au réfectoire en silence et sur deux rangs. Le silence est de rigueur pendant le repas qui dure de «18 à 20 minutes». Le menu, fixé par l’article 12, comporte réglementairement un potage gras ou maigre, un plat de viande et légumes (bouilli, bœuf) ou de poisson et du fromage ou des fruits (figues, oranges, dattes ou noix). Après le repas, c’est la «récréation»: «les rires bruyants, les clameurs, les chants de toute nature sont prohibés. Une certaine modération doit toujours présider aux conversations et aux jeux divers auxquels peuvent se livrer les élèves durant les récréations.» Du reste, au cours de cette heure qui précède la rentrée des études et classes de l’après-
Deux heures sont maintenant utilisées pour la préparation des classes de l’après-
Une heure seulement a séparé les classes de l’après-
C’est bien entendu, en ordre et en silence, que l’on gagne le dortoir; on se déshabille «avec décence et sans bruit». Toutes précautions d’ordre hygiénique ont été prises à la fin de l’étude pour que, fenêtres et portes soigneusement closes, tout étant dans l’ordre, les maîtres surveillants puissent à leur tour aller se coucher. Alors, plus impressionnant encore que tous ces petits silences réglementaires, dont semble tissée la longue journée commencée à l’heure où il ne fait pas encore jour, le Grand Silence va, sept heures durant, régner dans le séminaire où se forment les premiers maîtres d’école de l’Algérie ; seuls le troubleront les aboiements des chacals, des chiens kabyles et le frisson du vent dans les arbres de Mustapha.
Sombres dimanches à Mustapha.
L’ARTICLE 17 dit que «aucun congé, aucune sortie particulière ne pourront être accordés aux élèves pendant la durée de leurs cours d’études, hors le cas de circonstances exceptionnelles dont le Directeur est juge...»
Les élèves-
Nos normaliens de 1866 restaient dix mois et demi à MUSTAPHA. Et d’un bout à l’autre de l’année scolaire les seules variantes à la monotonie de l’emploi du temps intervenaient le jeudi et le dimanche. L’après-
Le dimanche matin, ils revêtent l’uniforme. «L’uniforme, écrit le directeur, est pour les jeunes gens une garantie de dignité et de bonne conduite; il trahit ceux qui tenteraient de déshonorer leur pavillon, et devient ainsi un puissant instrument de discipline».
Accompagnés de M. LEDUC et des maîtres-
Souper, récréation puis étude libre quant au choix de travail, mais surveillée par le maître de service. A vingt et une heure trente, «prière et coucher» comme d’habitude.
Le régime des sorties libres individuelles ne fut institué que par le règlement de 1884. A cette date, les élèves de troisième année sortirent tous les dimanches; ceux de seconde année, le 1er, le 2ème et lr 3ème dimanche de chaque mois; ceux de première, deux fois par mois seulement.
Chers anciens, vous qui avez peut-
De Mustapha à Bouzaréa.
DEPUIS plus de vingt ans, l’École Normale d’Alger fonctionnait à Mustapha. Tant bien que mal d’ailleurs, mal plutôt, car pour ses cinquante-
Brusquement, à la suite d’une menace d’épidémie de typhoïde et de glissements inquiétants du sol au début de l’année 1888, “l’Etablissement fut transféré en toute hâte et non sans un certain affolement, dans les bâtiments inachevés et inutilisés de l’asile d’aliénés de Bouzaréa... Cette première installation eut lieu dans des conditions extravagantes dont les anciens de la Maison gardent encore le souvenir”. Le transfert avait été envisagé dans la séance du Conseil d’Administration du 28 novembre 1887, la maison Vemet s’engageant à effectuer le déménagement en vingt voyages. Il ne s’agissait d’ailleurs, pensait-
Installation toute provisoire certes, que le personnel de l’École n’acceptait pas sans récriminations. Il le fit bien voir lors de la séance du Conseil des Professeurs du 31 mars 1890-
Plus graves que ces inconvénients d’ordre matériel, d’autres ayant trait à la marche des études, militent en faveur du transfert de l’École en un lieu plus rapproché d’Alger.
C’est d’abord l’éloignement de la capitale, centre intellectuel; les élèves sont ainsi frustrés du bénéfice des cours, conférences, bibliothèques et musées. En outre, le personnel qui, du reste, a trouvé très difficilement à se loger, ou qui passe une grande partie de son temps en va-
Toutefois, le Conseil d’Administration qui se tint le 8 mai suivant fut loin de rallier pareille unanimité. En effet, lors de cette séance, capitale pour les destinées de la première École Normale d’Algérie, trois membres du Conseil MM. ALLIAUD, Inspecteur d’Académie, GAGE, Conseiller du Gouvernement, et PLUQUE, adjoint au Maire d'Alger, obtiennent bien, en fin de compte le vote suivant “Qu’il n’y avait pas lieu d’installer l’École dans les bâtiments de l’asile d’aliénés”. Mais ce ne fut pas sans avoir vu se dresser contre leurs raisons, plus haut évoquées par le Conseil des Professeurs, les arguments de trois autres membres de l’Assemblée :le Maire de Bouzaréa, M. FOLCO, qui soutenait, y habitant lui-
Cependant... rien ne dure, on le sait, autant que le provisoire : la destinée de notre École allait en administrer la preuve, car, dans les délibérations des sessions qui vont suivre, les vœux du Conseil semblent, de guerre lasse, se faire de moins en moins pressants ; l’exode devient problématique, apparaît même rejeté aux calendes grecques. Et, sept ans plus tard, le rapporteur de juillet 1897 pourra, sans provoquer de protestations de la part de ses collègues, faire cette déclaration : ‘l’Ecole s’est développée dans le bâtiment où le Département l’a tout d’abord installée ; elle s’est faite à lui, et toucher à l’un serait porter atteinte à l’autre”.
Aussi bien, durant ces sept années, de très importantes transformations de “l’asile” s’étaient-
Le premier directeur fut M. LEDUC, lequel inaugura l’École en 1865 à Mustapha-
M. DUMAS, aujourd’hui inspecteur général de l’Enseignement des Indigènes, fut nommé inspecteur d’académie à Constantine le 12 Janvier 1935 et remplacé à Bouzaréa par M. DUPUY, ancien directeur de l’École Normale de Tunis, puis de celle de la Marne.
Directeurs successifs de la section spéciale :
MM. JOUVE (15/09/1893), BAUDELAIRE (01/l0/1894), RENARD (30/06/1897), BERDOU (30/09/1896), REDON (15/05/1903), DUMAS (09/1906), LLOPIS (01/l0/1910). POUPY (23/07/1921), LACROIX (09/1925), GIORGETTI (+ 27/08/1935), SCHLAFMUNTER (nommé en 02/1936).
Economes des Ecoles normales d’ALGER-
MM. BOURGET, GAUTHIER, ANTONIOTTI, MOUTET, BARJAUD, AUDOLI, RAFFY. BASTOUIL. (17/09/189!), BRUNOT (18/09/1907), PELISSIER (26/11/1919), MAGNIE (3/09/1920), BOORSCH (21/09/1922), BAUR (6/09/1923), DELPRETTI (7/11/1929).
Professeurs des Ecoles normales d’ALGER-
MM. BOUSQUET, MONTANE, SEVIN, FONTAN. BRESNIER. NIEL, MARQUIS, FOST, Chanoine FABRE, Imam Ben el CHAAD, Ben SEDIRA, Docteur BRUCH, GODARD, ROY, DARRU, BEDOUR. REME, DELASSUS. ARMAND. FOURQUET, MORAT , GUILLOTEL, GIRARD, POINT, VICO, FERRIE, REY, PRUNETTI, HARANGER, BRUN, MONTAL, CHALMEY, Docteur SALIEGE , BARBIER, PIERRE, BAUDRY, AURIAC, GARNIER, QUILICI, FLEUREAU, GROSS, PEINDARIES, ELDIN, ARNAULT, BRABANT. Si AMAR (Boulifa), TERRASSON, SIADOUX, POISSON, LECQ, REUSS, BATUT, SCHILTZ, TAPIE, COLLOTTE. RENARD, SOUALAH, Docteur MOREAU, LALLEMANT, LEONI, BARSOT, MISARD, DOUGNAC. LARRAZET. FAUCHERE, LEPEINTRE, LADAUGE, Docteur LAPIN, ROUSSET, DAUNOIS, VALLAT, ROBERT, SEROR, MONVILLE, BERLANDE. VIRE, PELEGRIN, JAUSSAUD, PESTRE, AUBINE. EELAÏD, DI LUCCIO Le BORDAYS, BIAGGI François, BOUVIER. COULON, ANGLADE, ROLLAND, LACROIX, LECARRE, MICHEL,TRUET, HERPIN, CROUZET, SCHLAFMUNTER, BATISSE. BERTHIN, CARRICABURU. GIORGETTI, PUGET DISDET, LEMAIRE, LECOUTRE, DEGIOANNI, ARGILAS, BONNET, DARBES, BURET, PETIT-
Directeurs de I’Ecole annexe :
MM. POZZO DI BORGO, CASTERAN, MOUTET-
Instituteurs de l’Ecole annexe :
MM. PERRENOT, SLIMAN (Taleb), BEN MALEK (taleb), CHATELAIN, BRANKI, POUPY, ESTARELLA, BONNET CHAMBRIER, ROLLET, NEUVILLE, AMABRIC, SEBRAN, LLEDO, CHAS, ARNAULT, REMY, GAILLAT (économat), CHALLON, DESPOMBS, MENGUAL (économat), GOBERT (économat), VILLARD (économat), GOMEZ (économat), BARRACHINA, MAZIER (*)
Bouzaréa..." le Père de la Graine ? ".
N 1888, la commune de Bouzaréa a pris quelque essor. Des maisons de campagnes ont été édifiées par des Européens, alternant avec les demeures mauresques occupées par les descendants des corsaires et des riches bourgeois d’Alger. Deux routes carrossables, passant par El-
Le colonel de Polignac ne tarda pas à devenir une personnalité de marque à Bouzaréa, avec TRÉPIED, le savant, ESTIENNE, directeur de l’École Normale et FOLCO, grand épicier d’Alger, devenu maire. On témoigne à M. de Polignac beaucoup de déférence. Souvent, il arrête les jeunes Normaliens et se plaît à les instruire ou à les taquiner. C’est ainsi que je lui fus présenté avec un groupe de camarades français et indigènes en promenade. Pour me prouver sans doute l’estime dans laquelle il tenait ma race, il m’apprit que les Arabes avaient eu, dans l’émir Khaled Ben El Oualid, un fameux tacticien. Dans la suite, il me demanda ce que signifiait “BOUZARÉAH” en arabe, car on lui avait donné des versions différentes. Entre autre explication, on lui avait sérieusement déclaré que le nom voulait dire: le lieu battu par le vent.
— Pas du tout, mon Colonel, lui répondis-
— Comment cela ?
— C’est bien simple. Bouzaréah est composé de 2 mots Bou et Zarria’a. le premier veut dire : père, ou bien, ce qui est remarquable par. Le deuxième signifie graine ou semence.
Joignez les deux parties, vous obtenez Bou Zarrîa’a (que vous avez déformé en Bouzaréah ou en Boudjaria) qui signifie père de la graine, ou le lieu remarquable par la semence.
— Le père de la graine ! le lieu de la semence, reprît le prince, cela ne me semble pas logique parce que, Bouzaréah, avec son massif rocailleux, n’est guère favorable à la semence.
A l’instant passa le vieux taleb Si Slimane , appuyé sur sa matraque; il se rendait à la tribu, du côté du Marabout “Sidi-
— Pas mal imaginé Quelle subtilité orientale fit le colonel en hochant sa tête maigriotte au nez bourbonien. Puis il ajouta “Ah Voilà sans doute la raison qui a déterminé les colons à fuir ces parages pour le Sahel et la Mitidja. Et, nous désignant, il demanda au taleb “Et cette jeune graine panachée que le Gouvernement vient de semer à Bouzaréah ne paraît-
— Allaho A’aiem (Dieu seul le sait), répondit le vieux maître d’école coranique qui continua son chemin en trottinant. Quant à nous, nous saluâmes le colonel avec quelque confusion.
Les projets des élèves maîtres.
Panaché, notre groupe l’était au physique et au moral. En effet. les Français portaient une casquette de collégien avec un complet redingote qui donnait aux jeunes gens un certain air de gravité. Les indigènes ressemblaient à de jeunes turcos avec leur calotte rouge, leur veste en forme de boléro jaune, et leur pantalon bouffant bleu. Seules, les palmes académiques ornant les casquettes et les vestes nous étaient communes.
Quant à nos idées, veuillez considérer un entretien de l’époque:
“ — Moi, disait le grave Donadieu, je voudrais réussir au brevet supérieur, épouser ma cousine qui est à l’École Normale de Miliana et être nommé instituteur à Douaouda, mon pays natal.
— Si j’obtiens le brevet élémentaire, déclara le petit Mohammed, je demanderai un poste dans une école nomade de notre region. La vie errante au milieu des pasteurs et des cavaliers intrépides me plairait assez, bien que mon père se soit fixé dans mon village.
— l’enseignement ne m’attire pas précisément ! s‘exclama le grand Pierre. Il est possible qu’une fois mes études; terminées , je me prépare au concours de rédacteur dans l’administration algérienne.
— Eh bien, moi, je retournerai dans ma montagne: je rejoindrai ma famille. .Je planterai des figuiers et des oliviers d’un bon rapport, fit Aït Ouaghzène. qui n'avouait pas que son père l’avait déjà marié pour l’attacher au foyer.
— Parfait opina Moïse. tout en assurant consciencieusement le service de ma classe. je ferai valoir mon argent dans des opérations commerciales.
— Ferment d’usure ! Grand fainéant ! s ‘écria Manuel. Tu n’ignores pas que l’agriculture produit plus que le négoce, apanage des parasites. Seulement, il faut se donner de la peine. Dans le bled, j’achèterai des lopins de terre, je serai maître d’école et colon. Je m’associerai avec les Arabes pour élever des moutons
— Vulgaires arapèdes ! s ‘exclama Clazaroni. On est déjà à l’étroit ici comme en Corse. Moi, j‘irai aux colonies où les traitements sont plus élevés qu’en Algérie. Vous n’entendez rien à la vie, Pourriez-
— Calzaroni a raison, expliqua Ahmed. S’il est désigné pour le centre de l’Afrique, je serai son adjoint. On se rouille en restant sur place.
Et 50 ans plus tard,.. Voyons ce que sont devenus les interlocuteurs rencontrés au temps du Prince de Polignac
— Donadieu a accompli une carrière normale dans l’enseignement primaire, comme d’ailleurs la plupart de ses camarades français et indigènes. Il a fini par être nommé directeur de l’école de Douaouda avec sa femme comme adjointe. Le couple a pris sa retraite dans le pays après la satisfaction de voir un fils nommé instituteur adjoint sur place et une fille mariée à Coléa.
— Le goût de l’étude a détourné Mohammed de la vie bédouine. Suivant le conseil de ses maîtres, il a poursuivi ses études à l’École Normale française puis à la Faculté d’Alger. Devenu professeur, il s’est élevé jusqu’à l’agrégation et par doctorat es lettres. Ayant rendu des services appréciés pendant la grande guerre, il a été nommé officier puis chevalier de la Légion d’Honneur. Marié avec une parisienne, il a élevé ses deux enfants au lycée. Son fils, bachelier, est contrôleur financier. Sa fille, bachelière, ayant épousé un métropolitain, il se trouve être le grand-
— Pierre a tenu parole. Après avoir exercé comme maître adjoint dans des écoles importantes, il a préparé la licence et le doctorat en droit. Il a affronté des concours pour entrer dans l’Administration. Ses qualités lui ont permis d’accéder aux fonctions de préfet, de directeur du cabinet du Père La Victoire, de président du Conseil municipal de Paris et de procureur général à la Cour des comptes. Il est commandeur de la Légion d’Honneur.
— Ait Ouaghzêne a sérieusement bifurqué. De bonne heure, son père lui a laissé, en mourant, une fortune rondelette. Il a renoncé à l’enseignement pour se consacrer à la culture du figuier, de l’olivier et de toutes nouvelles espèces d’arbres fruitiers. C’est lui qui a bien tiré profit des leçons du “ Père Girard ”. Tranchant avec les Kabyles, il est devenu l’arbitre des élégances indigènes. Élu conseiller général et président de la section kabyle aux Délégations financières, il a été élevé au grade d’officier de la Légion d’Honneur. Ce conservateur a donné une éducation française à son fils qui est pharmacien en Kabylie et à son neveu devenu ingénieur naval après être sorti dans les premiers rangs de l'École polytechnique.
— Moïse n’a pas réalisé ses rêves en matières commerciales. Il a fait mieux. Entré par voie de concours au service des Postes, Télégraphes et Téléphones en Algérie, il est parti ensuite pour le Tonkin. Il a bénéficié d’un avancement rapide et mérité, puis il est revenu occuper un poste important dans son administration. Ses pérégrinations ne l’ont pas empêché de pousser sa fille jusqu’au professorat et ses garçons jusqu’au doctorat en médecine et en pharmacie.
-
— Calzaroni n’a pas tardé à se faire nommer au Sénégal. Devenu directeur d’école normale, il a présidé à la formation de nombreux maîtres indigènes en Afrique Occidentale Française. Au début de la grande guerre, il est mort glorieusement, en Artois. à la tête d’une compagnie, de tirailleurs marocains.
— Ahmed était le fils d’un vénérable taleb. Doué d’une vive intelligence, il se montre facétieux. A Bouzaréah, il inquiète le curé du village parce que les jeunes filles européennes s’intéressaient à ses tours plus qu’à la messe. Dans une époque de chômage intellectuel, il parcourt la France et l’étranger. Un jour, un de ses professeurs le rencontre porteur d’une faucille au milieu d’une équipe de moissonneurs en Bourgogne. Quelques mois après, il adresse une carte postale de Damas, puis une autre du Maroc espagnol. Dans la suite, il surveille Déroulède, banni à St Sébastien. Puis il monte des agences commerciales dans le midi de la France. Au cours de la grande guerre, il s’engage dans les cuirassiers. Il n’y avait pas droit. Une maîtresse jalouse le dénonce comme ne pouvant être incorporé que dans les tirailleurs ; il est muté. A la paix, il acquiert des stocks de “godillots" américains qu’il écoule aux armées balkaniques.
Qu’on ne s’y trompe pas. Les types présentés répondent dans l’ensemble à des réalités. Leurs noms prouvent qu’ils appartiennent à des races diverses, bien juxtaposées. épanouies sous l’égide de la France. Ils constituent donc la graine panachée visée par le prince de Polignac.
Dans la pensée de ses promoteurs, cette semence devait être soigneusement traitée à Bouzaréah pour être ensuite consacrée à l’alimentation substantielle des enfants du peuple. Mais à l’expérience on a constaté que des types sélectionnés s’étaient montrés aussi bienfaisants pour les adolescents que pour les hommes d’âge mûr. Aussi ont-
D’autre essais ont prouvé qu’en dépit de la routine cette semence s’adaptait parfaitement aux différentes natures de terres, sans distinction d’altitude, de latitude ou de climat. Pour les musulmans, elle opérait à la façon de la Baraka (bénédiction). Pour les européens émancipés, elle avait des propriétés radioactives. En définitive, elle produisait un bien-
En effet, gravissez le Djurdjura, cheminez par monts et par vaux, allez de Kairouan à Rabat, de Gabès à Agadir, traversez le Sahara et le Niger vous ne manquerez pas de constater les magnifiques résultats obtenus en dépit des pires difficultés et sans réclame tapageuse par des pionniers intellectuels sortis de Bouzaréah. Apprentis et compagnons d’origine picarde. provençale, lorraine, auvergnate, languedocienne, espagnole, italienne. arabe, berbère, soudanaise et parfois annamite, ils ont appris, sous la direction de maîtres éclairés, la valeur de l’émulation. Placés au milieu de vastes solitudes désertiques ou parmi les populations les plus denses, ils ont répandu les idées de travail, de paix et de solidarité humaine. Avec le temps, les idées se sont développées, opérant comme des plantes vivaces; elles envahissent, étouffent et détruisent toutes les mauvaises herbes que sont les préjugés. Elles assurent l’union des cœurs dès l’âge tendre. Voilà pour l’œuvre des laboureurs au milieu des terres en friche.
Vous trouverez donc, tout naturellement quantité d’anciens élèves de la Bouzaréah dans l’enseignement primaire élémentaire et supérieur.
Vous en rencontrerez également, en moins grand nombre, à tous les degrés de l’éducation nationale et dans les carrières administratives, judiciaires, libérales, industrielles, commerciales et agricoles, non seulement en Algérie, en Tunisie et au Maroc, mais jusque dans le Sahara, au Soudan, en Égypte et en Syrie. Aux exemples donnés plus haut, on pourrait ajouter des professeurs agrégés dans les Lycées et les Facultés, des avocats, des médecins, des administrateurs de commune mixte, des contrôleurs civils, des officiers supérieurs, un directeur des Contributions, un directeur de grande banque, un gros fabricant de porcelaine de Limoges, des directeurs de coopératives agricoles, des musulmans viticulteurs ou artistes peintres.
Épilogue.
Bouzaréah, Père de la Graine, sorte de géant polycéphale, placé à la porte de l’Afrique française, recèle des forces mystérieuses.
D’un centre riant et de sites merveilleux, il dispense la santé et le plaisir aux citadins anémiés.
De son belvédère fortifié, dominant la terre et la mer, il assure la paix au royaume d’Alger-
De son observatoire, il scrute le ciel et prodigue de nouvelles richesses à la science.
De ses Écoles Normales, l’été venu, il lance trois compagnies de fervents apôtres munis d’une semence divine pour fertiliser l’esprit humain.
Que de Bouzaréah, phare lumineux, rayonne à jamais le génie civilisateur de la France !
Propos tenus par M Mohamed SOUALAN, ancien normalien de Bouzaréah, Docteur es Lettres, agrégé de l’Université et Professeur au Lycée d’Alger, dans la “Dépêche algérienne” du 18 avril 1938, à l’occasion du cinquantenaire de l’École.
L’Ecole Normale MUSTAPHA
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