De Marnia à Ghardimaou, d’un bout à l’autre des deux frontières algéro-marocaine et algéro-tunisienne 920 kilomètres à vol d’oiseau. D’Alger à Tamanrasset 1 540 kilomètres. Une superficie de 2,38 millions de kilomètres carrés, Territoires du Sud compris, 4,3 fois plus grande que la France. Une population musulmane passant de 3 millions en 1830 à quelque Il millions en 1962. Au sein de cette population toujours plus jeune, une masse d’enfants d’âge scolaire sans cesse croissante. Tel est le cadre géographique et humain de l’immense Académie d’Alger, sur laquelle la France décide d’implanter et développer son système scolaire durant 132 ans
L’œuvre réalisée ne peut être comprise que dans son ensemble, pour la totalité de sa durée et par les grandes lignes de son évolution. La fréquence, la diversité des blâmes qui lui sont adressés ne sont pas étrangères au dessein d’intervenir dans un débat en qualité d’artisan de l’œuvre, expatrié d’Algérie. Aboutir à un bilan général est donc l’intention délibérée, ambitieuse sans doute, qui guidera cette esquisse. Pour y parvenir, le langage des chiffres sera privilégié afin de sacrifier le moins possible à la subjectivité. Car, si comme croit pouvoir l’affirmer Nietzsche, «il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations », le mieux est encore de fonder ces interprétations sur des bases quantifiées. Au surplus, il se trouve que l’évolution même de ces chiffres est propre à suggérer la valeur qualitative de l’œuvre réalisée.
Un tel projet aurait sans doute nécessité une quantité d’informations plus abondante et, pour la traiter, une compétence spécifique. Il n’aurait d’ailleurs pas pu être conduit à son terme sans l’aide bibliographique et documentaire en provenance de nombreux amis Xavier Yacono, spécialiste averti des questions de l’histoire des colonisations, Fernand Puget, Georges Deipretti, Amédée Briffa, Marcel Papritz. Madame Conybeare-Grézel, pour sa part, a inlassablement centralisé les apports d’autres collègues et amis Gabriel Carayon, A. Riva, Désiré Cottet et le regretté Roger Morales. Il s’agit donc, en fait, d’un travail collectif qui se veut une contribution à l’évocation du vrai et que nous désirons dédier, d’une part à Jean Vouillot, notre rassembleur qui fut probablement l’un des premiers à le souhaiter, à tous nos anciens élèves, d’autre part, européens et musulmans qui ont encore devant eux une assez longue carrière d’enseignant à accomplir.
L’HOSTILITÉ ET L’ÉCOLE CORANIQUE
Parmi les Indigènes musulmans, l’hostilité envers l’école française est largement majoritaire de 1830 à 1880. Ses raisons profondes dépassent le seul ressentiment qu’inspire le vainqueur au vaincu. L’école coranique en est l’un des agents les plus efficaces, et, en tant que tel, requiert un examen préalable. Cette hostilité s’appuie sur trois fins à sauvegarder, la religion, la langue, les mœurs.
Dans l’Algérie turque, l’instruction traditionnelle arabe n’était pas organisée en une institution. Elle était dispensée dans les médersas, les zaouïas et les écoles coraniques, correspondant en gros, aux trois niveaux supérieur, secondaire et primaire. Le taleb de l’école coranique, par sa double fonction d’instituteur et de prêtre, jouissait d’un grand crédit auprès des populations. Instruit de la connaissance du Coran dans les medersas ou certaines zaouïas, son rôle primordial se bornait essentiellement à transmettre les préceptes du Livre sacré à ses jeunes élèves. Il est difficile, sans risque d’erreur, d’évaluer le nombre d’écoles élémentaires qui existaient en Algérie avant 1830. En revanche, en 1860 au temps du gouverneur général Pélissier, on estime, avec quelque certitude, à 2 000 le nombre d’écoles coraniques et à 27 000 le nombre d’élèves qu’elles rassemblaient. Toutefois, depuis les enquêtes faites sur place, en 1841 puis en 1846, par l’historien Tocqueville, on sait que l’enseignement connaissait avant 1830 un développement plus important. C’est par notre conquête écrit-il que «nous avons rendu la société musulmane plus ignorante et plus barbare qu’elle ne l’était avant de nous connaître ». Un avis analogue est exprimé, en 1880, par Fourmestraux pour qui «La France a laissé tomber l’instruction publique des Indigènes bien au-dessous de ce qu’elle était avant la conquête». Et Émile Combes affirme à son tour «qu’en 1830, l’instruction était moins arriérée que ne l’admettaient les pouvoirs publics français en Algérie .... (et que) des maîtres compétents instruisaient une jeunesse studieuse et pleine d’ardeur pour les études. La guerre avait en effet entraîné, après 1830, l’émigration de certains enseignants, dispersé les manuscrits qu’ils utilisaient. La confiscation des biens habous avaient tari les ressources destinées aux écoles coraniques. L’hostilité de principe des tolbas devenus misérables et incultes s’en trouvait renforcée.
Il est donc certain qu’en 1830 l’enseignement coranique était relativement répandu. Mais, en fait, cela ne signifie pas que l’enseignement en arabe était généralisé. En effet, les berbérophones qui constituaient environ un tiers de la population ne parlaient ni ne lisaient l’arabe. Sur les deux tiers restants, seuls les garçons fréquentaient l’école coranique. Par ailleurs, nous savons d’après le général Bedeau, cité par Neville Barbour qui veut montrer la diffusion de l’enseignement avant l’arrivée des Français, qu’en 1837, Constantine, ville d’Algérie particulièrement arabisée et la plus cultivée avec Tlemcen, comptait 90 écoles primaires totalisant 1300 à 1400 élèves, soit une quinzaine d’élèves par école. Comme Constantine totalisait alors 25 000 habitants, on voit que le tiers, au maximum, de la jeunesse y était scolarisé, en évaluant à 23 % l’importance de la tranche d’âge de 6 à 14 ans.
Mais, selon quels principes pédagogiques fonctionnait cette école coranique ? D’abord, l’absence de toute imprimerie rendait impossible non seulement la diffusion des connaissances, mais même la fixation de celles qui avaient été acquises. On le constate aujourd’hui avec l’échec des campagnes de scolarisation de l'UNESCO. les enfants quittant l’école oublient le mécanisme de la lecture faute de la pratiquer. De même, ceux de l’école coranique, pour le plus grand nombre, ne savaient pas vraiment lire. Ensuite, le Coran, qui constituait le programme quasi exclusif de cette école, compte 114 chapitres ou sourates, eux-mêmes subdivisés en versets. Ils exposent, à côté des dogmes fondamentaux de l’islam, envers lesquels existaient en Algérie avant 1830. En revanche, en 1860 au temps du gouverneur général Pélissier, on estime, avec quelque certitude, à 2 000 le nombre d’écoles coraniques et à 27000 le nombre d’élèves qu’elles rassemblaient. Toutefois, depuis les enquêtes faites sur place, en 1841 puis en 1846, par l’historien Tocqueville, on sait que l’enseignement connaissait avant 1830 un développement plus important. C’est par notre conquête écrit-il que «nous avons rendu la société musulmane plus ignorante et plus barbare qu’elle ne l’était avant de nous connaître ». Un avis analogue est exprimé, en 1880, par Fourmestraux pour qui «La France a laissé tomber l’instruction publique des Indigènes bien au-dessous de ce qu’elle était avant la conquête» (Il, Ta, n0 2379). Et Emile Combes affirme à son tour «qu’en 1830, l’instruction était moins arriérée que ne l’admettaient les pouvoirs publics français en Algérie .... J (et que) des maîtres compétents instruisaient une jeunesse studieuse et pleine d’ardeur pour les études (1, C.R.I, p. 6). La guerre avait en effet entraîné, après 1830, l’émigration de certains enseignants, dispersé les manuscrits qu’ils utilisaient. La confiscation des biens habous avaient tari les ressources destinées aux écoles coraniques. L’hostilité de principe des tolbas devenus misérables et incultes s’en trouvait renforcée.
Il est donc certain qu’en 1830 l’enseignement coranique était relativement répandu. Mais, en fait, cela ne signifie pas que l’enseignement en arabe était généralisé. En effet, les berbérophones qui constituaient environ un tiers de la population ne parlaient ni ne lisaient l’arabe. Sur les deux tiers restants, seuls les garçons fréquentaient l’école coranique. Par ailleurs, nous savons d’après le général Bedeau, cité par Neville Barbour qui veut montrer la diffusion de l’enseignement avant l’arrivée des Français, qu’en 1837, Constantine, ville d’Algérie particulièrement arabisée et la plus cultivée avec Tlemcen, comptait 90 écoles primaires totalisant 1300 à 1 400 élèves, soit une quinzaine d’élèves par école. Comme Constantine totalisait alors 25 000 habitants, on voit que le tiers, au maximum, de la jeunesse y était scolarisé, en évaluant à 23 % l’importance de la tranche d’âge de 6 à 14 ans.
Mais, selon quels principes pédagogiques fonctionnait cette école coranique ? D’abord, l’absence de toute imprimerie rendait impossible non seulement la diffusion des connaissances, mais même la fixation de celles qui avaient été acquises. On le constate aujourd’hui avec l’échec des campagnes de scolarisation de l'UNESCO. les enfants quittant l’école oublient le mécanisme de la lecture faute de la pratiquer. De même, ceux de l’école coranique, pour le plus grand nombre, ne savaient pas vraiment lire. Ensuite, le Coran, qui constituait le programme quasi exclusif de cette école, compte 114 chapitres ou sourates, eux-mêmes subdivisés en versets. Ils exposent, à côté des dogmes fondamentaux de l’islam, envers lesquels est exigée une soumission totale, tout un ensemble de préceptes d’hygiène, de droit civil et pénal, de morale, ainsi que des récits de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il réhabilite, fait souvent méconnu, la condition des filles que l’époque pré-islamique considérait comme inutiles à la collectivité et recommande «la bienséance entre les deux sexes, ... la déférence à l’égard des femmes». Or, le mot «Coran» est souvent employé avec le sens de «récitation à haute voix» et le Livre sacré lui-même exige que le fidèle «psalmodie avec soin la Prédication». Le texte d’ailleurs s’y prête bien, par sa prose cadencée, rimée ou assonancée, par une « musicalité et une vigueur d’expression jamais atteinte avant le Coran» et par sa poésie qui en fait un «chef-d'œuvre qui surpasse tous ceux que l’humanité a reçus et révérés». Au surplus, émanation de la pensée de Dieu même, directement révélée au Prophète, le Coran doit demeurer inaltérable. Seule, donc, la récitation «par cœur », textuelle, en est digne et propre à lui épargner toute adultération. L’enfant, dès son plus jeune âge, est tenu d’en réciter de mémoire un certain nombre de fragments. Toutefois, «il faut compter huit à dix années pour qu’un élève moyennement doué ait une connaissance assise de l’ensemble du Coran (...). Le plus souvent, l’enfant s’arrête à huit à dix sourates apprises par cœur (...) et ce sera là tout son bagage. ». Par ailleurs, ce texte souvent allusif, elliptique, parfois hermétique, est ardu à interpréter et commenter devant des enfants. Le taleb y renonce le plus souvent, car «il ne se sent pas pour mission, au début, d’initier l’enfant au sens du texte qu’il apprend». Certes, il y associe la lecture et l’écriture, mais plutôt pour faciliter l’effort de mémoire et, le plus souvent, sans références grammaticales et orthographiques. En un mot, savoir le Coran c’est le savoir «par cœur », condition antithétique du savoir selon Montaigne.
Ce caractère pédagogique de l’école coranique frappe les premiers observateurs. Genty de Bussy, intendant civil dans la Régence d’Alger, écrit en 1832 «Les enfants ne lisent et n’écrivent que les versets du Coran (...). Leur manière d’étudier est fort bruyante. Tous ensemble prononcent à haute voix les mots du texte arabe pour le confier à leur mémoire (...). Ainsi restent captives les plus belles et les plus brillantes facultés de l’âme ». Elsa Marston se livre à une description analogue en précisant en outre «que les écoles (coraniques) que les Français trouvent en 1830, dans les villes d’Algérie, étaient tout à fait du même genre que celles qui existaient depuis des siècles dans tout le pays musulman », en ajoutant toutefois que «dans certains cas, ils apprenaient des rudiments de grammaire arabe, d’écriture et parfois d’arithmétique». Pour sa part, Ali Mérad, professeur à l’université de Lyon, reconnaît que les zaouïas dispensaient un «enseignement islamique traditionnel qui végétait encore, répandant de ci de là les faibles lueurs du “ilm”, cette modeste somme de connaissances religieuses et profanes transmise de génération en génération...». Les officiers français tenteront en vain, au cours des premières décennies de l’occupation, d’imposer à l’école coranique, en plus de l’indispensable arithmétique, des notions de géographie pour introduire au moins certains concepts -rotondité de la terre, héliocentrisme - ainsi que des rudiments de science, afin de suggérer l’existence de lois naturelles, leur véracité fût-elle cautionnée par Dieu, comme le veut Descartes après Platon. Beaussier, interprète principal à Blida, en 1858, s’entendra répondre par des tolbas résolument hostiles, que tout ce qui s’écarte du Coran est inutile, même savoir compter. Bien plus tard, lorsque l’école française aura fait quelques adeptes, des critiques souvent sévères s’exprimeront à l’encontre de l’école coranique. En 1900, le caïd Ben Rahal, conseiller général, la condamne en ces termes « Pauvre enseignement ! Pauvres moyens ! Pitoyable spectacle !». Et cette école avant 1830 conférait cependant un grand prestige. L’Italien Pananti qui fut esclave à Alger au début du XIXe siècle et dont le livre fut traduit d’abord en anglais (1818) puis de l’anglais en français (1820), sous le titre Relation d’un séjour à Alger, écrit «Toute l’instruction qu’on donne aux enfans (sic) consiste à les envoyer à l’école où ils apprennent à lire et à répéter cinquante ou soixante aphorismes du Coran. Quand un enfant est capable de ce gigantesque effort d’instruction et de science, son éducation est finie pour récompenser son zèle et exciter l’émulation des autres, on le promène à cheval autour de sa ville, ses parens (sic) lui donnent des fêtes; il est devenu un objet d’émulation et de plaisir pour ses camarades, et son pédagogue se retire couvert de gloire ».
Ainsi, en s’enfermant dans des limites immuables, l’enseignement arabe traditionnel assure, il est vrai, la pérennité et la force de l’Islam, mais s'immobilise dans un système anté-galiléen, anté-copernicien. École française et école coranique, enracinées dans deux philosophies totalement dissemblables sont vouées à l’affrontement.
L’opposition à l’école française s’exprime diversement selon les époques et prend pour thème le plus fréquent la défense de la religion, de la langue et des mœurs. Une commission sénatoriale d’études des questions algériennes, présidée par Jules Ferry en 1891, avait été chargée d’enquêter sur place. Elle avait été favorablement accueillie en milieu musulman. « Le Mufti d’Alger (...) disait dans son style imagé que la nomination de (cette) commission avait répandu une odeur de justice » (Franck Chauveau). Les cahiers arabes de revendications, préparés à son intention, adoptent le ton de la dignité inquiète. «La résistance de nos coreligionnaires (à l’école nouvelle) tient à des sentiments grands et élevés, dignes d’un peuple qui veut rester fidèle à son origine (...) et qui ne peuvent choquer l’esprit français le plus libéral de toute l’Europe (...). L’enseignement exclusif du français aurait pour résultat de faire oublier la religion». Il en sera tenu compte. A l’instigation de Masqueray, l’enseignement du Coran sera confié à un taleb annexé à l’école française. Parfois le ton est plus rude et l’école française est maudite en tant qu’« école du diable ». Mais souvent ce n’est qu’une défiance résignée. Le caïd Ben Rahal, notable de Nédroma, en 1886, la traduit en ces termes «L’Arabe (dit-il) peut subir l’instruction mais ne la demande pas, car il y voit une sorte de piège en vue de lui ravir sa nationalité, sa religion». Tout aussi graves sont les accusations selon lesquelles l’école moderne compromettrait les bonnes mœurs. On stigmatise l’arrogance des garçons nouvellement instruits. Ils contestent l’autorité du père, méprisent les travaux des champs, s’adonnent au jeu et à la boisson, le tout sous couvert d’émancipation. Quant à l’instruction des filles, prévue par le décret de 1883, elle soulève la réprobation générale, provoque des pétitions indignées, car le Musulman est persuadé qu’elle mènerait ses jeunes filles tout droit à la déchéance et à la prostitution. Dans tous les cas, l’attitude de refus est entretenue par les chefs religieux et les tolbas dans les zaouïas qui seront considérées pendant longtemps comme des «foyers d’insurrection» (Duc d’Aumale).
L'ADHÉSION DES JUIFS INDIGÈNES.
Chez les Juifs indigènes, une tendance favorable s’affirme très vite, hormis quelques îlots d’hostilité comme Oran notamment. Leur attachement à la religion judaïque ne fait pas obstacle à un penchant moderniste qui les prédispose à l’assimilation. En revanche, pour les Musulmans indigènes, c’est une infime minorité qui, dès les débuts, adopte et défend l’enseignement français, non sans une courageuse conviction. Parmi les pionniers, Fatah ben Brahim, l’un des Musulmans admis au premier concours d’entrée de 1866 à l’école normale d’Alger-Mustapha nouvellement créée, croyait aux vertus des «lumières ». Cet ancien directeur de l’école arabe-française de la rampe Valée à Alger aimait à citer à ses élèves cette maxime caractéristique d’un état d’esprit «Cherche la science du berceau jusqu’au tombeau ». Son gendre L. Buret, inspecteur primaire de l’enseignement, traduisant ses convictions, écrit que «c’est par la Science que devaient se dissoudre les préjugés aveugles, le fanatisme, et se réaliser le grand oeuvre d’union fraternelle ». Brihmat Ahmed, autre produit de l’École normale, ancien conseiller municipal d’Alger, déclarait en 1883 que «l’on a trop peu fait pour le peuple, qu’il n’y a que quelques écoles françaises pour les Indigènes. Plus il y a d’écoles, moins il y a d’hommes dans les prisons et de femmes dans les maisons de prostitution». En ce qui concerne les mœurs, et notamment pour l’enseignement féminin, son jugement est donc l’antithèse de celui des Musulmans traditionalistes. Défendant le décret de Jules Ferry, en 1883, contre l’opinion de ses coreligionnaires, il lance ces mots prophétiques, «L’instruction porte en nous le secret de notre résurrection». En 1891, M’Ahmed ben Rahal déclare pour sa part qu’il voudrait «une école dans chaque village, à l’ombre de chaque palmier». Parfois la demande d’instruction se justifie explicitement par l’aspiration légitime à une promotion sociale. Quelques conseillers municipaux, signataires d’une pétition en 1891, fondent leur adhésion à l’école française sur l’orgueil, la fierté de compter parmi leurs coreligionnaires des médecins, des officiers, des interprètes et des maîtres d’école. Dans ce noyau d’adeptes musulmans, Medjoub ben Kalafat, professeur au lycée et à l’école normale de Constantine, défend avec conviction une cause qui lui est chère et à qui il est redevable de sa réussite. «Il faut amener l’enfant arabe à l’école (...), l’arracher des mains de parents ignorants et fanatiques », écrit-il, mais en conseillant de ne pas omettre l’enseignement du Coran. C’est aussi Ben Sédira, professeur d’arabe à la Faculté d’Alger, ardent protagoniste de l’instruction des filles, Soualah, docteur ès lettres qui publie « quatre petits précis sur l’Islam et la société indigène de l’Afrique du Nord, éminemment propres à faire l’union des Français et des Indigènes». Tous deux sont à l’origine d’une pléiade d’arabisants et berbérisants, agrégés ou docteurs, parmi lesquels on note des Européens, Pérès, Counillon, Valat, des interprètes militaires, tel Loubignac qui servit aux côtés de Lyautey au Maroc. Bel exemple de transmission réversible, de part et d’autre du prétendu plan de clivage des races et des religions. En 1908, se fait remarquer un sympathique instituteur de vingt ans, Mohamed Ben Cheneb, dont les nombreuses publications lui vaudront une chaire de professeur à la faculté des Lettres d’Alger. Plus tard, en 1914, c’est Benhabilès qui, dans un ouvrage préfacé par Georges Marçais, plaide contre les thèses de «l’irréductibilité du fanatisme religieux et de l’imperfectibilité de l’Indigène». Ce sont ces idées favorables qui, après une lente maturation, finiront par prévaloir. L’école française sera alors réclamée par la masse des Musulmans, avec un empressement qui eût été naguère imprévisible. En 1925, le directeur de l’école de M’Sila écrira dans son rapport à l’inspecteur primaire « Il y a trente-cinq ans, quand j’ai débuté, il fallait se fâcher pour réunir vingt-cinq élèves. Aujourd’hui, il faut se fâcher pour empêcher les classes de se congestionner et on a le choix. L’école est devenue un privilège». Désormais ces revendications se répéteront sans relâche. En 1930, c’est le président de la section arabe des Délégations financières qui, appréciant «l’accès de plus en plus facile (que les Musulmans) trouvent aux sources de lumières et d’intellectualité française », confirme que l’instruction est leur aspiration principale. Son collègue Hassen, délégué financier de TiziOuzou, après avoir exprimé, la même année, la reconnaissance du peuple kabyle, demande que la France «poursuive sans arrêt la continuation de (son) oeuvre civilisatrice en créant toujours plus d’écoles». Il nous appartiendra, plus loin, de déterminer les causes de ce revirement.
L'OPPOSITION DES EUROPÉENS.
« L’histoire ne semble-t-elle pas avoir préparé la terre algérienne à devenir un jour, la patrie de
deux cultures ? »
Elle se fonde sur des raisons économiques et immédiates chez les cultivateurs, tandis que les sociologues la justifieraient par des causes plus profondes et lointaines et qu’au niveau de l’opinion courante, on s’en remet à des motifs religieux ou raciaux sans fondement rationnel. C’est sûrement «l’esprit colon », ainsi dénommé par Albert Sarraut, qui incarne la résistance la plus déterminée au progrès de la scolarisation indigène, même si une analyse plus détaillée pourrait citer des colons qui y font exception, par exemple ceux qui publient le Cri de l’Algérie à la veille de la Grande Guerre. Eugène Etienne, ministre des Colonies en 1887, contribue à lui donner son «statut », en proclamant sans la moindre retenue que «le fondement de l’idée coloniale n’est et ne peut être que l’intérêt bien entendu (...). Le seul critérium à appliquer à toute entreprise coloniale, c’est son degré d’utilité, c’est la somme des avantages et des profits devant découler pour la métropole ». Cette loi de profit est celle même qui régit l’entreprise agricole du colon. Dès lors, toute dépense budgétaire accordée à la scolarisation des Indigènes apparaît comme une déperdition de fonds improductifs, préjudiciable à la mise en valeur des terres. L’« esprit colon» sera la cible la plus vulnérable de l’anticolonialisme. On lui reprochera l’extension de la propriété foncière européenne et l’exploitation de l’ouvrier agricole, aux dépens des Indigènes, en omettant, par ailleurs, l’action propre des défricheurs et le cas des petites propriétés européennes qui végétaient et redoutaient la faillite. Mais là n’est pas notre propos. Dans les périodes de difficultés budgétaires, entre 1899 et 1908, par exemple, l’opposition des colons s’exacerbe. Un crédit figurait au budget de l’Instruction publique sous le titre «Subvention aux communes algériennes pour constructions d’écoles», et les communes devaient participer à la dépense à proportion de 40 %. C’était une lourde charge pour bon nombre d’entre elles, face au «Plan Jeanmaire» qui prévoyait la construction annuelle de 60 écoles indigènes de 120 classes, sans préjudice de dépenses inhérentes aux écoles communales européennes. Aussi, des municipalités refusent les crédits, souvent à l’instigation des colons, arguant que les enfants indigènes n’ont qu’à fréquenter l’école française. En 1908, l’opposition adopte un caractère extrême, lors du Congrès des Colons d’Algérie, en votant le vœu suivant «Considérant que l’instruction des Indigènes fait courir à l’Algérie un véritable péril, tant au point de vue économique qu’au point de vue du peuplement français (le congrès) émet le vœu que l’instruction primaire des Indigènes soit supprimée». La Dépêche algérienne du 3 septembre 1908 soutient ce point de vue. «Gardons notre argent, (écrit-elle), qui serait mieux employé aux travaux dont la colonisation a besoin », argument que vient renforcer le poids considérable du refus opposé à l’enseignement français par les Indigènes eux-mêmes. Cette connivence des deux tendances obscurantistes, européenne et musulmane, pèsera fortement dans le bilan final de l’œuvre scolaire française.
Les sociologues, pour leur part, pressentent à plus ou moins longue échéance les effets inéluctables de l’émancipation de l’Indigène par l’instruction. « L’Inde aux Indiens ! - lance Gustave Lebon - est aujourd’hui le mot d’ordre de tout indigène ayant reçu une éducation anglaise » et, extrapolant à l’Algérie, il prophétise « Éduquons nos Arabes et le cri de “L’Algérie aux Arabes” sera bientôt leur devise », propos que ne démentaient pas certains esprits lucides et non hostiles. Jules Cambon, notamment gouverneur général de l’Algérie en 1891, constatait déjà, en cette fin du XIXe siècle, que c’était chez l’Indigène instruit par l’école française que l’on rencontrait souvent le plus d’hostilité. Mais l’école française qui prend sa source dans la Révolution, ne peut en effet qu’enseigner la Liberté, la primauté de la Raison et donc l’esprit critique qu’elles impliquent, non la servitude et le dogmatisme. «Ce n’est pas impunément - dira le maréchal Lyautey - qu’on a lancé à travers le monde des formules du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et des idées d’émancipation et d’évolution dans le sens révolutionnaire». Ce courant de pensée aboutira, vers 1932, avec le sociologue R. Maunier, à ériger en une véritable loi de toute colonisation le fait que «le civilisé apporte au colonisé l’idée d’autonomie et de patrie qui se retourne tôt ou tard contre lui».
Quant à l’opinion courante, elle véhicule souvent des motifs d’hostilité inspirés par un racisme simpliste, selon lequel l’Arabe est inéducable par l’infériorité même de sa race ou par le caractère ou l’intensité de sa foi qui lui fermeraient l’accès à la science, sans apercevoir que ces affirmations sont controuvées par les faits dès que l’éducation peut opérer. Et Charles-Robert Ageron n’hésite pas à écrire, dans un ouvrage récent (1979) que «Tous les Européens (d’Algérie) s’avouaient que c’était folie d’instruire les Indigènes», oubliant la prohibition absolue qui frappe, en logique, ce genre d’affirmation « totalitaire », hors du domaine des sciences exactes, mais qu’adopte volontiers le style raciste, quels que soient ses destinataires. Cette généralisation abusive mérite qu’on en démontre immédiatement l’inexactitude.
LES DÉFENSEURS DE L'ENSEIGNEMENT DES INDIGÈNES.
Donnons la priorité aux Européens d’Algérie, afin de les disculper puisqu’il en est besoin. Hubert Desvages, plus nuancé, décrivant l’histoire de l’enseignement des Musulmans d’Algérie sous le rectorat Jeanmaire, pense, en effet, «qu’opposer conception libérale et conception coloniale ne signifie pas d’ailleurs prêter cette dernière à tous les Européens d’Algérie» et cite parmi eux le conseiller général d’Alger Rauzières en 1882, le député d’Alger Letellier en 1888. La liste est extensible. Viviani, natif de Sidi-Bel-Abbès, député socialiste de Paris puis ministre de l’Instruction publique en 1913, avait réussi à intéresser accidentellement Jean Jaurès aux Indigènes d’Algérie en 1898. En 1936, Marcel Bataillon, futur professeur au Collège de France, d’origine métropolitaine il est vrai, fut porté à la députation par ‘une majorité électorale massive, dans une circonscription d’Alger à forte dominante européenne et sur un programme qui impliquait la promotion scolaire des jeunes Musulmans. Amédée Briffa, ancien professeur à Sétif puis à Alger, est en mesure d’affirmer «Au cours de mon mandat de délégué à l’Assemblée financière de l’Algérie, j’ai été deux années durant (1947. 1948) rapporteur général devant l’assemblée de la deuxième commission chargée, notamment, de l’éducation nationale. Je n’ai jamais eu à m’insurger contre des collègues qui auraient été adversaires de l’instruction des Musulmans» (correspondance personnelle). Ce représentant élu, défendant une cause qui lui était chère, posait lui aussi en principe que «la lutte contre l’analphabétisme était la plus grande entreprise philanthropique dont on ait pris l’initiative depuis la suppression de l’esclavage», et n’hésitait pas à blâmer, au besoin, «cette indifférence de la Haute Administration métropolitaine ». A son tour, l’Union des sections algériennes du Syndicat national des instituteurs d’Algérie, dans un rapport de son secrétaire Marcel Dubois, membre du Conseil supérieur de l’Éducation nationale, en date d’avril 1960, année de pleine expansion scolaire, réclamait que l’Académie d’Alger fasse encore davantage, mieux et plus vite, à l’égard de la scolarisation totale des enfants musulmans. Nous y reviendrons. Adoptons la conclusion qu’Hubert Desvages nous accorde «La conception libérale de l’enseignement des Indigènes rencontrait donc un écho certain au sein d’une fraction de la minorité européenne (d’Algérie). Il convenait de le rappeler». Une fraction de minorité, soit ! Mais combien agissante !
Le courant de pensée favorable à l’enseignement des Indigènes, au sein des Européens en général, est d’une importance et d’une permanence remarquables. Il reçoit toutes sortes d’affluents en provenance de l’armée, de l’Église, de la franc-maçonnerie, des partis politiques les plus divers et de l’Université. Par-delà les divergences philosophiques, on y découvre trois constantes communes une même fin, la pérennité de la présence française en Algérie, un même moyen, l’école, une même attitude, l’humanitarisme.
Adopter successivement le sabre et l’école pour pacifier est un choix caractéristique de l’armée d’Algérie. Le duc d’Aumale, présent en Algérie de 1843 à 1848, érige en principe que « l’ouverture d’une école au milieu des indigènes vaut autant qu’un bataillon pour la pacification du pays ». Son protégé, Ismaël Urbain, converti à l’islam, disciple d’Enfantin et comme lui saint-simonien, exerce sur sa pensée une certaine influence. Aussi, pour le duc d’Aumale, l’action humanitaire doit être inséparable de la volonté politique de civiliser, en rapprochant vainqueur et vaincu. Ce point de vue est adopté par le général Charron qui considère, vers 1849, que l’instruction primaire est un moyen politique de première importance pour réaliser la «conquête des esprits », à condition de se concilier les tolbas. Même tendance chez le général Bedeau qui «propose de s’emparer des intelligences par la direction de l’Instruction publique tout en lui conservant son caractère religieux...». Plus tard, l’amiral de Gueydon, gouverneur général de l’Algérie de 1871 à 1872, acquis à la thèse de l’assimilation des Indigènes, pensait également qu’elle ne pouvait se réaliser «vite et bien que par les études et les récréations en commun entre enfants des deux races sur les bancs des écoles et des lycées ». Les officiers des «Bureaux arabes », comme ceux des SAS. (Sections administratives spécialisées), un siècle plus tard, verront aussi dans l’école l’instrument essentiel de l’évolution. Sans doute existe-t-il une ambiguïté dans ce rôle bivalent confié à l’enseignement - «instruire pour conquérir» - au moins en résultera-t-il des constructions d’écoles qui seront fort utiles, le moment venu.
L’Église, quant à elle, rêve d’amener au christianisme un certain nombre d’autochtones, toujours par les bons offices de l’école, en misant d’abord sur la Kabylie. Dugas, alias Père Joseph, par exemple, pense en 1877, six ans après la répression de l’insurrection kabyle, que «c’est le christianisme qui francisera la Kabylie », fondant son espérance sur le fait, dit-il, que les Kabyles ont été chrétiens avant d’avoir apostasié. Et Monseigneur Lavigerie croyait pouvoir déclarer en 1885 «Si on nous avait laissé faire la Kabylie serait chrétienne». La pensée du Père de Foucault, dont le but, non avoué, était la conversion du Musulman, considérait comme un devoir supérieur du colonisateur l’éducation du colonisé. Des missionnaires de toutes obédiences, catholiques, protestants, parcourront l’Algérie pour accomplir leur triple fonction d’évangélisation, de bienfaisance et d’instruction. C’est ainsi qu’à partir de 1898, les écoles libres congréganistes suppléent souvent les écoles officielles pour Musulmans, notamment dans les Territoires du Sud et en Kabylie. Dans cette dernière région, en 1901, les missions de Pères Blancs avaient établi 21 écoles groupant 1 039 élèves recevant un enseignement éducatif et professionnel.
Parmi les hommes politiques francs-maçons les plus célèbres de la troisième République, après Gambetta, Louis Blanc, Henri Brisson, c’est essentiellement Jules Ferry qui, comme en métropole, imprimera à l’expansion scolaire algérienne l’impulsion la plus vigoureuse en lui conférant les insignes de la laïcité, sans d’ailleurs jamais la dissocier de l’expansion coloniale considérée comme un droit légitime, mais aussi un devoir des nations avancées. C’est ainsi que Paul Viguier, conseiller général franc-maçon de Constantine, ne voit d’autre remède, contre une «théocratie qui ne veut pas mourir », que l’intervention des «instituteurs primaires laïques, pour agir, un peu partout, aux lieu et place des zaouïas, sur les jeunes générations », le tout, sous couvert d’une foi nouvelle, la foi dans la Raison et la Science expérimentale. Cette foi, selon lui, c’est «l’action de la franc-maçonnerie au sein des populations barbaresques» qui doit la promouvoir, sans souci de cette sorte de «déclaration de guerre à l’islam». Et l’on pourrait citer de nombreuses prises de position dans les loges algériennes ou les convents en faveur de la multiplication des écoles indigènes et de la colonisation en général. La loge L’Union sétifienne, par exemple, dans sa séance du 27 février 1902, s’élève même contre «cette malheureuse légende du colon spoliateur, légende inventée par les ennemis de la colonie qui se confondent trop souvent avec les ennemis de la République» (archives de la Grande Loge de France).
Mais, les défenseurs par excellence, les propagandistes les plus convaincants de la cause de l’école algérienne sont assurément les universitaires. Masqueray, ancien directeur de l’École supérieure des Lettres d’Alger, après une vaste et minutieuse enquête, choisit, lui aussi, la Kabylie pour terre d’élection. Il proclame en 1876, avec un bel optimisme :
«Si nous le voulons, dans l’espace de deux générations, la Kabylie sera transformée et française; il suffira pour cela d’un instituteur dans chaque tribu ». Et Wahl, professeur au lycée d’Alger puis inspecteur général de l’Instruction publique, surenchérit en réclamant que l’obligation scolaire soit étendue à l’Algérie entière. Mais, pour que les résultats soient à l’unisson des espérances, il faudrait que les moyens budgétaires soient largement consentis, condition qui est loin d’être toujours satisfaite. Or, chaque fois qu’ils sont jugés insuffisants, une voix éloquente s’élève. En 1891, c’est Rambaud, professeur en Sorbonne, qui estime, huit ans après le décret de 1883, que tout reste à faire pour l’enseignement des Indigènes et que «les crédits sont ridiculement insuffisants». En 1908, année de crise, le Parlement français et les Délégations financières d’Algérie sont amenés à rogner la subvention aux communes algériennes pour la construction d’écoles, et l’on décide de substituer aux écoles indigènes normales des «écoles auxiliaires », installées dans des locaux à bon marché que la critique ne tarde pas à désigner sous le vocable d’«écoles-gourbis». C’est cette fois, l’éminent géographe Foncin, ancien ministre de l’Instruction publique en 1881, qui proteste véhémentement. «Il faut choisir - écrivait-il dans la presse - entre deux politiques; la politique d’exploitation qui est pour un temps lucrative mais qui est inique et devient vite dangereuse; et cette autre politique généreuse et féconde qui veut l’éducation des peuples et leur association à la mère-patrie. Celle-ci nous paraît la seule qui soit digne de la France et conforme à son génie». Pendant ce temps, à l’école normale d’Alger-Bouzaréa, un esprit se forge qu’incarne, entre autres professeurs, Achille Delassus, auteur d’un ouvrage de 1913 qu’il intitule La conquête morale des Indigènes. «Il faut - dit-il - que la France élève les Arabes et les Kabyles, ses pupilles, dans son intérêt, comme dans le leur», pour cela le meilleur moyen est évidemment l’école.
Il faut interrompre la narration de ce courant de pensée favorable à l’enseignement des Indigènes, tant il est puissant et persistant, et constater que ces quatre tendances conjuguées deux à deux auront traversé les cent trente-deux années de la présence française en Algérie, affectées d’oscillations d’amplitudes variables.
L'INDIFFÉRENCE MÉTROPOLITAINE.
Mais cette dichotomie des idéologies, opposant les «pour» d’un côté, les «contre» de l’autre, décrirait incomplètement la situation de l’opinion métropolitaine, si l’on omettait une attitude qui a également perduré. «C’est la prodigieuse indifférence de la France...». Des faits ? Jules Cambon, gouverneur général de l’Algérie en 1891, avoue n’être «qu’un malheureux attelé à une besogne que les timidités de son gouvernement rendent bien ingrate », tandis que son frère Paul Cambon, le « grand ambassadeur », ancien chef de cabinet de Jules Ferry, note le peu d’intérêt des questions coloniales pour un «pays perdu dans la contemplation des infiniment petits de sa politique intérieure ». Vingt ans plus tard, «en 1910, le gouverneur Jonnart se plaint que l’Algérie soit de plus en plus ignorée des ministères et du Parlement». Quant à l’absentéisme parlementaire à l’occasion des débats sur l’Algérie, il est excessif: «à la Chambre, il n’y a jamais plus de vingt à trente députés en séance pour les débats coloniaux et, en janvier 1914, après une active campagne des indigénophiles, au moment de la discussion qui devait fixer la nouvelle politique indigène, on vit sur les travées de 7 à 17 députés!». Sans doute, cette indifférence a subi certaines éclipses, en 1930 notamment, lors des fastes de la célébration du centenaire de la prise d’Alger, mais elles sont de courte durée. En effet Albert Sarraut, spécialiste de ces questions puisqu’il fut ministre des colonies de 1920 à 1924 puis président du Conseil, déclarait publiquement devant la Conférence impériale de 1934-1935 que «la métropole, en thèse générale et sauf rares exceptions, laisse à ses colonies le soin de se tirer d’affaires elles-mêmes (...), mais ne les seconde pas de son appui budgétaire; elle se satisfait à cet égard de leur avoir donné à boire dans le verre vide de l’autonomie financière ».
Avant de conclure, il convient de mentionner une tendance nouvelle, d’apparition bien plus récente, soutenue conjointement par les intellectuels français «progressistes» et par les Musulmans nationalistes ou traditionalistes. Elle consiste à mettre en accusation un système d’enseignement, décrit en termes d’affrontements, qui conduit à juxtaposer deux cultures dissemblables, occidentale et orientale, favorisant la première, inhibant la seconde. On trouve en effet, en Algérie, après 1830, schématiquement, d’un côté une civilisation occidentale qui a intégré, au cours des siècles, les philosophies helléniques, judéo-chrétienne, agnostique, cartésienne, empiriste anglo-saxonne et toutes leurs variantes, ainsi que l’ensemble des découvertes et applications de la science moderne. Sa pensée qui a rodé ses mécanismes rationnels est vouée à une évolution de progrès. De l’autre côté, une civilisation arabe, naguère distendue de l’Indus aux Pyrénées, qui, bien que n’ayant pas eu de science propre (Pierre Duhem), a possédé des savants qui ont eu «la gloire (...) de nous avoir transmis les meilleures trouvailles des peuples qu’ils avaient subjugués »-géométrie et philosophie des Grecs, système décimal des Hindous, algèbre des Babyloniens. Après quoi, cette civilisation s’assoupit dans une contemplation mystique. Sa pensée, pour l’essentiel, s’en remet à la Révélation et considère sa stagnation comme un aboutissement. Qu’entre ces deux civilisations juxtaposées, l’échange le plus intense se soit établi dans le sens des charges culturelles décroissantes, était inévitable. En témoigne notamment le fait que les Musulmans nationalistes modernistes réussiront à imposer à l’université d’El Azhar du Caire, à côté de l’étude fondamentale du Coran, la physique moderne, l’histoire contemporaine, la géographie, malgré une opposition farouche des oulémas traditionalistes, avant d’entreprendre une modernisation partielle du même genre dans l’enseignement des écoles coraniques algériennes sur laquelle nous reviendrons. Or le propre de cette critique portant sur la juxtaposition de deux cultures réside dans le fait que son acuité ne peut que se renforcer au fur et à mesure des progrès de l’œuvre scolaire française, ce qui permet finalement à ses détracteurs de l’attaquer sur deux fronts, celui des insuffisances tout comme celui de ses succès.
Il est vrai que l’Occident s’apprête à connaître une remise en question de la suprématie de sa civilisation. Ernest Lavisse en 1890 exprime la crainte de son déclin possible. En 1900, le philosophe allemand Spengler, surtout, prédit sa décadence pour l’an 2000. L’Hindou Rabindranath Tagore, en 1915, s’élève à son tour contre les prestiges de l’Occident, avant que Paul Valéry, en 1919, rappelle cette vieille et angoissante évidence que les civilisations sont mortelles. Et le sociologue R. Maunier peut écrire que chez maints Musulmans s’affirme l’idée qu’ils sont « les vrais civilisés, moralement, socialement, mystiquement, sinon économiquement». Pourtant, même en 1961, Jean Guéhenno notait, au cours d’un séminaire d’écrivains venus du monde entier à New Dehli, où il était question d’humanisme, de technique, de machinisme notamment, que «contre toute attente, c’était l’Orient qui disait du bien de la machine, l’Occident qui en disait du mal».
D’ailleurs, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, ce genre d’idées ne circulent qu’exceptionnellement. Et pour l’historien, il n’est pas douteux qu’avec la prise d’Alger, en 1830, s’ouvre pour la France la grande période impérialiste qui aboutit à la domination du monde par l’Occident. L’Europe et la France ont bonne conscience, la «gauche» surtout, persuadées d’accomplir une «mission civilisatrice », ce qui d’ailleurs peut être considéré comme exact, dans la mesure, non discutable du point de vue matériel, où le mode de vie occidental est le reflet d’une civilisation scientifique et technologique. Mais, du niveau où se situe un tel débat, on perd la visibilité sur le domaine des faits auxquels nous allons maintenant nous consacrer.
LES PREMIÈRES TENTATIVES.
Les trois régimes qui se succèdent en France, après la conquête de 1830, monarchie de Juillet, seconde République, second Empire, abordent le problème de la scolarisation en Algérie sans plan préconçu. Essais, tâtonnements successifs tiennent lieu d’expériences, dans un domaine où l’innovation est la règle. De 1830 à 1880, pour « l’enseignement public, nous n’avons pas de politique scolaire », tranche Fourmestraux. Donc, comme pour l’œuvre coloniale jugée dans son ensemble par Albert Sarraut, il s’agit d’un cheminement «sans boussole ». Il faut, du moins, reconnaître que pour les hommes qui eurent à conduire cette aventure, « nulle part, leurs regards n’apercevaient la trace, si vague soit-elle, d’un modèle à suivre, d’une expérience à observer». De sorte que durant les cinquante premières années, cinq tentatives scolaires se succèdent l’enseignement mutuel, les écoles maures-françaises, les écoles arabes-françaises, l’essai de rénovation de l’enseignement coranique libre, enfin les écoles communales mixtes.
L'ENSEIGNEMENT MUTUEL FRANCO-ARABE.
La prise d’Alger est à peine achevée, que l’on songe déjà, en métropole, à y installer un enseignement français, son organisation pour les
Musulmans, durant les vingt premières années étant essentiellement l’oeuvre des militaires. Dès 1831, Jonnard membre de l’Institut, propose à Paris l’application de l’enseignement mutuel, méthode qui est employée à cette époque dans l’armée française pour alphabétiser les soldats illettrés. En classe, elle consiste à confier le rôle de moniteurs aux grands élèves jugés aptes à expliquer à leurs camarades ce qu’eux-mêmes viennent d’apprendre. D’emblée, cet enseignement mutuel s’assigne des buts élevés. Donné dans une école mixte du point de vue ethnique, franco-arabe en particulier, les jeunes Français enseigneront leur langue aux petits Musulmans et réciproquement. La formule permet donc, en théorie, le rapprochement des races par l’échange des langues et des cultures. Et l’on espère déjà, comme l’écrit le vice-recteur Horluc, «conquérir les indigènes à la cause de La France et à la civilisation», afin de faire disparaître du même coup «l’esprit de fanatisme et de haine entretenu par les préjugés religieux». L’idéologie est, en effet, à la fusion, et le restera, avec les socialistes, presque jusqu’à la fin de l’Algérie française. C’est bien ce que traduit cette lettre datée du 15 octobre 1832, du duc de Rovigo, commandant en chef du corps d’occupation d’Afrique, au maréchal Soult, ministre de la Guerre, alors que nul ne savait encore si la France déciderait de se maintenir à Alger «Un local sera mis sous peu de jours à la disposition de l’Inspecteur de l’Instruction publique pour l’établissement d’une classe de jeunes Maures qui seront initiés à la connaissance de notre langue. Dans ce même local, une chaire sera fondée pour l’enseignement de la langue arabe aux Européens (...). Je ne désespère pas, avec un peu de temps, de voir réunir, sous les mêmes professeurs et aux mêmes heures, Juifs, Maures, Français, Italiens et Espagnols. C’est dans le sein de l’École que doit se préparer la fusion désirable.»
En fait, c’est en 1833 que Paris décide d’ouvrir à Alger la première école de type mutuel dans la mosquée de la rue Socgémah rendue disponible par la confiscation des biens habous, avant d’être transférée rue de la Lyre. Mais les résultats ne répondent pas aux espérances. L’effectif de l’école s’élève à 201 élèves dont 143 Européens et 58 Israélites. Chez les Indigènes musulmans c’est l’abstention totale. L’Intendant Genty de Bussy, déçu, constate «qu’il y a persévérance des Maures à ne pas envoyer leurs enfants à l’école». Cet échec initial n’empêche pourtant pas la création d’écoles semblables à Oran, Bône, Dély-Ibrahim, Kouba. En même temps, on ouvre des écoles israélites, dont une école de filles, innovation exceptionnelle en Algérie, fort bien accueillie. En 1839, le bilan pour la région d’Alger n’est pas brillant
— 1324 élèves au total suivent l’enseignement mutuel franco-arabe, parmi lesquels,
— 1009 Européens
— 200 Juifs
— 95 Arabes (0,7 %).
Pour ces derniers l’échec est patent. L’administration en tire la conclusion que la méthode de l’enseignement mutuel est impropre à satisfaire les buts qui lui ont été assignés. L’expérience est alors progressivement abandonnée, à partir de 1836 déjà, au profit d’une nouvelle formule, celle des écoles maures-françaises. Toutefois, l’utilisation des «élèves-moniteurs » survivra pendant quelques années encore, car elle présente l’avantage pour l’administration de rassembler, pour un même maître titulaire, des effectifs d’élèves plus chargés.
LES ÉCOLES MAURES-FRANÇAISES.
En1836, est créée, à Alger, Rue Porte-neuve, la première école de garçons maure-française
dont le projet est toujours assimilateur. Elle reçoit 60 élèves encadrés par deux maîtres, l’un français, l’autre algérien musulman. Le maître français enseigne les matières de base, lecture, écriture, grammaire, orthographe et arithmétique, en langue française. Le maître musulman enseigne la langue arabe et la religion de l’Islam, afin de suppléer l’école coranique. En 1839, des écoles du même type sont ouvertes à Bône et Oran. En 1845, la première école de filles musulmane est créée à Alger, rue de Toulon, à titre privé, par Madame Allix-Luce. Elle compte 150 filles. Les plus âgées, au nombre de vingt, reçoivent un enseignement pratique de broderie et de dentelle. Leur classe constitue le premier « ouvroir » d’Algérie, ou centre d’apprentissage féminin, et aura le privilège d’être subventionné.
Mais l’école maure-française reçoit en général des effectifs trop réduits pour pouvoir concurrencer l’enseignement traditionnel arabe des écoles coraniques. Son niveau d’enseignement est d’ailleurs notoirement insuffisant. Or, les buts que la France poursuit ne peuvent être atteints que par un enseignement de masse et de rendement efficace. On décide donc une troisième tentative.
LES ÉCOLES ARABES-FRANÇAISES DE 1850 À 1865.
La seconde République prend deux décrets successifs, le premier du 14 juillet 1850 est relatif aux écoles arabes-françaises créées pour quelques grandes villes seulement du territoire civil, c’est-à-dire des régions complètement pacifiées. Le second décret, du 30 septembre 1850, intéresse les écoles traditionnelles d’enseignement arabe, de beaucoup les plus nombreuses.
Le décret du 14 juillet 1850 crée dix écoles arabes-françaises, six pour garçons, quatre pour filles à Alger, Oran, Bône, Constantine, Mostaganem. Une aussi faible extension de ce nouveau système scolaire a de quoi surprendre. En fait, elle est délibérée. Elle répond aux conseils de prudence prodigués par Ismaël Urbain dans les milieux ministériels parisiens où sa connaissance de l’Algérie inspire confiance. Le préambule du décret du 30 septembre 1850 justifie en effet le renoncement à la généralisation des écoles arabes-françaises par la crainte d’«entrer en contact immédiat et direct, sur toute l’étendue de l’Algérie, avec l’universalité de la population musulmane (et de) multiplier à plaisir les chances d’insuccès». Le décret du 14 juillet prévoit la gratuité de l’école arabe-française. Ses programmes s’inspirent de ceux de l’école maure-française lecture, écriture, calcul, en français et en arabe, avec quelques notions de géographie et de sciences naturelles pour rehausser et moderniser le niveau des études. Pour les filles, des travaux d’aiguille viennent en supplément. Deux maîtres se partagent les élèves. La classe du matin, assurée par le maître-adjoint musulman, consiste essentiellement en une étude du Coran mais limitée à l’aspect linguistique. Celle du soir, confiée au maître français, est réservée aux autres disciplines. La tâche de ce dernier n’est pas commode, car les textes réglementaires l’invitent, pour se faire comprendre de son jeune auditoire, à traduire ses explications en arabe, ce qui nécessite le plus souvent le recours au maître-adjoint en qualité d’interprète. En fait, cette «école était plus arabe que française» et ses programmes restaient rudimentaires. Il s’agit donc en somme d’une réforme de faible envergure, sauf pour deux mesures importantes, l’affirmation de la gratuité et la suppression de l’instruction religieuse proprement dite, sans compter la création officielle, sinon effective, d’un enseignement pour les filles musulmanes.
Le nombre de ces écoles s’élèvera à 18 en 1865. Il ne réussit donc pas à doubler en quinze ans. Outre cet échec quantitatif, le niveau d’enseignement demeure encore bien faible, tant pour la formation de base, que pour les connaissances générales. Une preuve évidente en est donnée par les résultats des concours de recrutement des élèves-maîtres musulmans au Cours normal de l’école normale d’Alger-Mustapha récemment créée. En 1866, pour les dix places qui leur sont réglementairement réservées, sur les trente disponibles, trois Musulmans seulement sont déclarés admis, « avec beaucoup d’indulgence », écrit M. Leduc, directeur de l’école normale. En 1867, un seul Musulman est recruté, ainsi qu’en 1868. Il est clair que l’école arabe-française, elle non plus, n’atteint pas son but. Elle fournit, en milieu musulman, des cordonniers. des tisserands, des barbiers et des garçons de café maure. Elle n’a d’ailleurs pas bonne presse.
F. Colomba, officier de l’armée d’Afrique, dans une lettre à MercierLacombe, directeur des services civils, attire l’attention sur le fait qu’« on ne peut réunir dans les écoles françaises, les enfants indigènes et chrétiens (...). La presse calomnie les écoles franco-arabes en affirmant que les résultats sont nuls». L’expérience se solde par un nouvel échec. Son seul mérite se borne à faire apparaître la nécessité de programmes mieux adaptés et d’un niveau plus élevé. D’ailleurs, le rapport que le maréchal Vaillant adressait à l’Empereur dès 1856 évoquait déjà «l’importance qu’aurait l’enseignement primaire donné aux Indigènes par des maîtres français» et sur l’ensemble du territoire occupé. En conséquence tout espoir de provoquer le dépérissement de l’enseignement coranique grâce à l’école arabe-française apparaît vain. Les tolbas, qui ont conservé intact leur double prestige de responsables religieux et d’instituteurs, sont devenus les adversaires les plus résolus de l’occupation française dont ils prophétisent inlassablement la fin prochaine. Ils sont les instigateurs du refus de l’école nouvelle, proclamant que le Musulman ne peut y adhérer sans trahir la tradition coranique.
Le décret du 30 septembre 1850 se propose la rénovation de l’enseignement arabe coranique, dans tout l’intérieur du pays où seules existent des zaouïas dont on ne saurait se désintéresser sans compromettre l’objectif capital défini par le duc d’Aumale, le rapprochement entre les deux ethnies. De là, ce projet préconisé par plusieurs officiers des «Bureaux arabes », ainsi que par le général Bedeau notamment, consistant à maintenir l’enseignement traditionnel donné par des tolbas, tout en soumettant son fonctionnement au contrôle de l’autorité française, ce que l’Algérie turque n’avait jamais fait. On souhaite substituer à la routine scolastique coranique, une pédagogie de l’intelligence, de la raison, mots qui reviennent souvent dans les rapports rédigés par les militaires. C’est bien le but que se fixe le décret du 30 septembre, en plaçant l’école coranique sous tutelle du gouverneur général et en préconisant l’élévation du niveau culturel de l’enseignement arabe. En 1857, une circulaire renforce les intentions du décret en instituant un brevet de capacité obligatoire pour les tolbas et en imposant des inspections périodiques des écoles arabes par les chefs des «Bureaux arabes ». Les épreuves de l’examen du brevet de capacité révèlent alors l’insuffisance manifeste de la qualité du recrutement des maîtres. Certains d’entre eux refusent d’ailleurs catégoriquement d’appliquer des programmes s’écartant, pour si peu que ce soit, de l’étude exclusive du Coran.
Et l’on assiste à une lente dégradation de cet enseignement coranique rénové, à l’encontre du but poursuivi. A Sétif, en 1857, il ne reste que sept tolbas sur trente-neuf, en réaction à l’obligation de brevet de capacité et à l’allégeance qu’elle implique à l’égard de l’autorité française. Dans la province d’Alger, le Cercle de Cherchell, par exemple, scolarise à grand-peine, en 1854, 1 % de sa population musulmane. Dans la province d’Oran, en 1867, avant la grande famine, on compte 828 tolbas pour 5298 élèves musulmans, soit six à sept élèves par taleb en moyenne. En 1860, dans le Cercle de Constantine «l’instruction arabe dans les tribus est à peu près nulle et l’on se demande si ce sont les élèves qui manquent aux instituteurs ou les instituteurs aux élèves». En 1867, lorsque apparaîtront les écoles communales mixtes, cette situation d’échec sera à peu près généralisée et l’espoir de l’enseignement traditionnel arabe s’éteindra à son tour.
LES ÉCOLES ARABES-FRANÇAISES DE 1865 À 1880.
En 1865. après le voyage de Napoléon III en Algérie, l’idée d’une fusion des races, chère à l’Empereur, relance la question scolaire. Le gouverneur général Mac-Mahon, en accord avec le recteur Delacroix, propose de calquer les programmes de l’école arabe-française sur ceux de l’école primaire métropolitaine, en l’accommodant par deux mesures particulières une place importante faite à la langue arabe et la réintroduction de l’enseignement religieux islamique, afin de désarmer l’hostilité des autochtones centrée sur ces deux griefs majeurs. Mac-Mahon prend alors un arrêté en date du 2 mai 1865 pour redonner vie aux écoles arabes-françaises, mais la mesure n’a pas de portée profonde et d’ailleurs, peu de temps après, il diffuse une circulaire de 1867 privilégiant le développement des écoles communales françaises en les déclarant librement ouvertes aux enfants musulmans. En fait, l’école communale devenait mixte et faisait figure d’école concurrentielle de l’école arabefrançaise. Après la chute de l’Empire, on tente à nouveau de redévelopper les écoles arabes-françaises, notamment dans l’intérieur du pays pour remédier à l’échec de rénovation de l’enseignement coranique. Le décret du 15 août 1875, pris à cet effet, stipule donc, par son article 1, que «l’enseignement primaire est gratuit dans les écoles arabes-françaises des territoires du commandement, (qu’)il comprend les éléments de la langue française, la lecture et l’écriture en français, les éléments du calcul et du système légal des poids et mesures,(ainsi que) la lecture et l’écriture en arabe ». On espère, par ce début d’assimilation et d’uniformisation des programmes, engager l’enseignement indigène dans la voie de l’école de type métropolitain.
Les résultats sont d’abord faiblement positifs et le nombre des écoles arabes-françaises passe de 18 en 1865 à 33 en 1870, avec 13 000 élèves environ. Après quoi, elles disparaissent régulièrement 24 écoles en 1873, 21 en 1875, 16 en 1880. L’effectif total des élèves musulmans, en 1880, tombe à 3 172 (2 814 garçons et 358 filles). Le déclin de l’enseignement des Indigènes est alors consommé. On peut lui attribuer des causes pédagogiques, sans doute, tenant au fait que «l’assimilation des programmes (avec ceux de la métropole) était prématurée, s’agissant d’enfants pour qui la langue française devait d’abord être acquise comme la clé des autres matières». Mais les causes administratives sont tout aussi importantes. Depuis 1865, l’entretien des bâtiments scolaires des écoles arabes-françaises ainsi que la rétribution de leurs maîtres-adjoints musulmans étaient imputés au budget des communes. Or, à partir de 1867-1868 s’y ajoutent les charges des écoles communales mixtes. Nombreuses sont alors les municipalités qui refusent leur assistance financière aux écoles arabes-françaises, arguant que les enfants musulmans n’ont qu’à suivre l’enseignement de l’école communale mixte, ce qui avait au moins le mérite d’une proposition non raciste. Ainsi, «délaissées à la fois par leurs élèves et par l’autorité locale, des écoles (arabes-françaises) disparaissent». Et surtout, le climat politique s’est aggravé, en raison de la grande famine de 1867-1868, encadrée de deux révoltes réprimées en 1864 et en 1871, qui ne peuvent que renforcer l’attitude d’hostilité de l’Indigène à l’égard d’une école qu’il ne reconnaît pas comme sienne, ainsi que du colon qui faisait état du nombre important d’anciens élèves et collégiens qui avaient trempé dans les révoltes. D’ailleurs l’insurrection déclenchée par Mokrani en Kabylie en 1871 eut des répercussions dans toute l’Algérie, pendant une dizaine d’années révolte d’Al-Amri (1876), soulèvement de l’Aurès (1879) et surtout de Bou’Amâma (1881).
Finalement, le premier demi-siècle de l’Algérie française, de 1830 à 1880, fut incontestablement une période d’essais suivis d’échecs successifs.
LA CRÉATION DE LA PREMIÈRE ÉCOLE NORMALE.
La seule issue qui se présente désormais est celle des écoles communales mixtes ouvertes aux Européens et aux Musulmans. Mais elle repose le difficile problème de l’adaptation, tant des maîtres français que des élèves indigènes, si l’on tient à mener à bien le projet assimilateur. Elles auront l’incontestable mérite d’ouvrir la voie à l’école de Jules Ferry.
Dès 1859, Vayssètes, un instituteur issu du cadre des interprètes, avait défini la seule solution judicieuse pour l’enseignement des Musulmans :
«Des maîtres spéciaux, dans des écoles spéciales, soit par des Indigènes formés par la France, soit par des Français connaissant l’idiome des élèves». Mais restait à trouver le moyen de former de tels maîtres. Or, la loi Guizot de 1833 avait rendu obligatoire, en métropole, la présence d’une école normale d’instituteurs dans chaque département. L’idée de doter l’Algérie d’une école semblable avait été exprimée à plusieurs reprises. L’inspecteur Cantrel, dès 1846, conseillait la création d’une école normale pour tolbas, afin de rehausser et moderniser leur formation professionnelle. Depeille, directeur de l’école de la rue Porte-neuve a Alger, interrogé en 1857 par le préfet, avait écrit dans un long rapport que «la vraie solution serait la création d’une école normale arabe-française», avis qui fut transmis au comte Vaillant, ministre de la Guerre. Quant au général Margueritte, voyant plus grand, il souhaitait, déjà vers 1851, la création d’une école normale dans chaque capitale provinciale de l’Algérie.
L’idée est donc suffisamment mûre pour qu’en 1865, trente-deux ans après la loi Guizot, le maréchal de Mac-Mahon, gouverneur général de l’Algérie de 1864 à 1870, dans son rapport à l’Empereur, plaide en ces termes la création de la première école normale d’instituteurs à Alger. « Depuis longtemps les Indigènes musulmans eux-mêmes consentent a confier leurs enfants à des maîtres français. Mais l’imperfection des méthodes d’enseignement et surtout la difficulté de recruter des maîtres capables, sont un obstacle au progrès de notre influence sur la jeunesse. Ces maîtres, une école normale primaire peut seule les leur donner. En effet, si l’on veut que les écoles destinées à recevoir les jeunes Arabes contribuent à la propagation rapide de la langue et des idées françaises, il est nécessaire d’y placer des maîtres initiés à l’usage de l’arabe parlé, à la connaissance générale des mœurs et capables d’adapter leurs méthodes aux habitudes intellectuelles des Indigènes (...). Ces considérations nous ont conduits à proposer à Votre Majesté la création d’une école normale d’instituteurs pour les Européens et les Indigènes». Puis dans un style non dépourvu de lyrisme, la Commission de surveillance suggérait le site d’implantation, dans l’ancien Parc de Galland «A quelques kilomètres d’Alger, sur un mamelon que couronnent les pittoresques coteaux de Mustapha et qui, d’autre part, domine la mer (...), il est au monde peu de sites aussi riants que celui de Mustapha supérieur composé de villas élégantes jetées au hasard et perdues dans de vastes jardins à végétation luxuriante».
Le décret impérial du 4 mars 1865 donne promptement satisfaction à ces vœux persuasifs. Dans son premier rapport de gestion de fin d’année, en 1866, le directeur, M. Leduc, exprime sa foi dans l’impulsion que cette école normale va donner aux écoles primaires d’Algérie, véritables «ateliers où seront fabriquées désormais les armes les plus sûres pour la conquête et la pacification définitive». Avec ces écoles primaires communales et mixtes, le cap était mis en direction de l’école de type métropolitain que la troisième République prendra résolument pour objectif.
Ainsi, tout bien pesé, en dépit de cette série d’échecs scolaires du premier demi-siècle de l’Algérie française, au cours duquel l’école normale d’instituteurs d’Alger n’a pas encore eu le temps d’exercer son influence à une échelle suffisante, une raison d’espérer existe. Avec les écoles normales d’institutrices de Miliana et d’instituteurs de Constantine créées en 1874 et 1878 respectivement, les instruments efficaces d’un succès futur sont en place et l’on peut dire avec Ali Mérad que l’année 1880 «fut(...) le seuil d’une nouvelle ère dans (l’) évolution culturelle de l’Algérie ».
LES INSTITUTEURS DE L'ÉCOLE NORMALE DE BOUZARÉA.
« Ici a commencé une longue amitié ». (Dupuy.)
Le rôle historique joué par l’école normale d’Alger-Bouzaréa, l’esprit de corps qu’elle a forgé justifient que soit examinée séparément la catégorie d’instituteurs qui en sont sortis. Définir cet esprit fait courir le risque de solliciter l’éloge. Pourtant, au-delà des mots, c’est bien lui qui inspirait le comportement professionnel des élèves-maîtres, par un engagement tacite de servir l’école et l’enfant, ce dernier étant placé très au-dessus des distinctions raciales ou religieuses. Les cours hebdomadaires de pédagogie, de morale professionnelle le tissaient progressivement en une sorte d’endoctrinement tel, qu’il n’est pas excessif de dire que l’élève-maître sortant se sentait investi d’une mission inséparable de son métier. Cet esprit s’est propagé. non seulement dans les écoles normales plus récentes -Miliana (1874). Constantine (1878), Oran (1933)... - mais aussi parmi les autres catégories de personnel, d’une manière moins systématique sans doute, par l’entremise des inspecteurs primaires et directeurs d’école issus eux-mêmes des écoles normales. Dès sa création en 1865, l’école normale de Bouzaréa est mixte, du point de vue ethnique. Elle recrute dans la colonie parmi les garçons européens et indigènes, mais aussi en métropole où elle trouve un appoint indispensable. Le décret du 13 février 1883 lui annexe un cours normal réservé aux Indigènes. Ils y préparent le brevet élémentaire qui leur confère le titre «d’adjoints-indigènes» et, parfois, en troisième année, le brevet supérieur, comme leurs camarades européens. Puis le décret du 20 octbre 1891 crée au sein de l’école une section indigène (qui sera transformée ultérieurement en « section spéciale d’adaptation à l’enseignement des Indigènes »). Dès lors, coexistent en fait deux écoles normales, l’une européenne, l’autre indigène. Enfin, en 1924, la fusion en une école normale unique est réalisée, le cours normal supprimé, la section spéciale maintenue.
Le cours normal, pour sa part, a formé quelque huit cents instituteurs indigènes, chiffre modeste, mais sans rapport avec l’importance de la fonction accomplie. Les candidats au cours normal étaient soigneusement sélectionnés parmi les meilleurs élèves des écoles primaires de la ville ou du «bled », la Kabylie ayant fourni jusqu’à 89 % du recrutement rural. C’est que son enseignement eut vite bonne réputation. Certains tolbas eux-mêmes se résignaient parfois à le conseiller aux parents d’élèves. «Ton fils sait assez de religion (dit l’un d’eux à un père de famille), il est inaltérable et l’avenir est à la langue française. Fais-en un instituteur». Le régime ségrégatif, voire raciste et vexatoire, que les élèves indigènes y auraient prétendument subi relève d’une interprétation partiale, mensongère. Le fait que les Indigènes du cours normal ont été isolés dans un même local d’enseignement, dans un même dortoir et un même réfectoire, à l’écart des Européens, les prétendues «brimades infligées par les élèves européens à leurs condisciples indigènes» conduisent Fanny Colonna à exprimer cette idée fausse qu’« il semble manifeste qu’on ait voulu une ségrégation presque totale entre élèves européens et indigènes (...) (comme) pour leur rappeler à tout moment que, quoiqu’admis dans le sérail, ils ne sont pas Européens». Ces propos valent qu’on s’y arrête. Le regretté Fernand Puget qui a passé trente-huit ans de sa vie à l’école normale de Bouzaréa, de 1919 à 1957, en qualité d’élève, de surveillant et de professeur, successivement, apporte, avec son habituelle garantie de rigueur, le témoignage suivant « Il y avait des brimades entre promotions françaises tyrons, profanes, vétérans (élèves de première, seconde et troisième année), (...) Il n’y a jamais eu, à ma connaissance, des brimades entre Européens et indigènes. Il est vrai que les Indigènes étaient dans une deuxième salle de réfectoire. Dans la première, profanes quatrios (élèves de quatrième année), sectionnaires, démobilisés au début, et la salle était pleine; dans la seconde, Indigènes d’un côté et tyrons (européens) de l’autre. Dans cette salle, il y avait effectivement des bancs pour les uns et les autres. Nous étions séparés pour la bonne raison que les Indigènes avait un plat différent quand nous avions du porc, qu’ils ne buvaient pas de vin et qu’ils faisaient le Ramadan» (correspondance personnelle). Il s’agissait donc de. commodité de service, non de ségrégation raciste. D’ailleurs, après la suppression du cours normal, tout ce monde de normaliens se répartira au réfectoire, au dortoir comme en cours, librement, au gré des camaraderies, non des races. Georges Delpretti qui totalisa, en qualité d’élève puis d’intendant, trente-cinq ans de présence à l’école normale de Bouzaréa, répartis entre 1915 et 1957, apporte une confirmation d’autant plus importante que sa fonction le mettait au contact immédiat de la vie de l’internat. Il est à même d’affirmer que «les Musulmans, d’origine souvent modeste, faisaient l’objet de toute notre attention et de notre affection. Un trousseau spécial leur était d’ailleurs fourni gratuitement (...). L’ensemble des élèves de toutes origines formait une grande famille unie et les Musulmans s’en rendaient compte en nous manifestant respect et amitié» (correspondance personnelle). D’ailleurs, sans souci de contradiction, Fanny Colonna ajoute plus loin que «les normaliens (indigènes) (...) n’ont pour la plupart que des souvenirs idylliques le cours normal, c’est le paradis de leur adolescence, la réussite au concours (d’entrée) une autre naissance». C’est bien l’avis, pour n’en citer qu’un seul, qu’Ahmed Balloul, promotion 1901 du cours normal, ex-professeur agrégé de physique au lycée Buffon à Paris, exprime trente-six ans plus tard, en écrivant « Je garderai toujours de mon vieux cours normal, de mes maîtres et de mes camarades, le souvenir le plus cher et le plus fidèle». Le même «esprit de corps » a présidé à la formation des instituteurs issus du cours normal. Ils sont, en synergie avec leurs collègues européens, les artisans du succès tardif mais irréfutable de l’enseignement primaire en Algérie.
La section spéciale, créée à l’école normale en 1891, prolongeait, en la systématisant, l’action d’une section analogue ouverte à FORT-NATIONAL en 1881. Elle avait pour mission d’adapter à l’enseignement des Indigènes, chaque année, une quarantaine d’élèves-maîtres ou d’instituteurs français ou algériens. Son effectif a d’ailleurs subi des variations de grande amplitude; en 1901, il passe par un minimum absolu de six élèves, en 1892, il culmine à cinquante-quatre. En 1937, sur cinquante sectionnaires, on comptait quarante métropolitains et dix instituteurs intérimaires pour la plupart européens d’Algérie. Or, le but à atteindre, plus spécialement dans l’enseignement des Indigènes, était la formation de maîtres à compétences multiples, possédant en plus d’une pédagogie efficace, des aptitudes agricoles, manuelles et même paramédicales, afin de donner à leur enseignement ce «caractère pratique et réaliste » débouchant sur «l’utilité économique de l’instruction de masse» qu’Albert Sarraut préconisait encore en 1923. En conséquence, la totalité des normaliens et surtout les élèves de la section spéciale apprenaient l’agriculture (Photos 4 et 5). Le domaine de quinze hectares de l’école s’y prêtait particulièrement bien avec son arboretum, ses cultures en terrasses dans le vallon que surplombait l’école, et ses plantations diverses, vigne, légumes, céréales, arbres fruitiers (photo 6). Il en était de même des importantes installations d’ateliers de travaux manuels sur fer et sur bois (photos 7 et 8). De sorte que décrire, non sans une pointe de persiflage, cet instituteur français en «col blanc, chargé d’enseigner à des paysans comment être paysans», puis reconnaître que par ses fonctions techniques, l’école primaire indigène a été «le véhicule des innovations matérielles dans le domaine de l’habitat, de l’agriculture, de l’hygiène, de la santé, par les savoirs qu’elle a dispensés (...)», conduit le même auteur au bord de la contradiction , mais illustre bien l’originalité incontestable de l’enseignement primaire indigène en général.
Pour donner une idée du programme d’études à la section spéciale, bornons-nous à citer un ancien sectionnaire de 1895, Joseph Boileau, ancien président de l’Amicale des anciens élèves de l’École. « Nos professeurs étaient pour nous des amis. Le brave Boulifa enseignait le kabyle, Ben Sédira et surtout Soualah essayaient de nous initier à l’arabe (...). Notre directeur, M. Berdou, nous intéressait en nous expliquant le Coran et les us et coutumes des Indigènes. Le docteur Moreau nous émerveillait par la clarté et la précision des cours de médecine élémentaire. Sans nous en douter, nous sortions de là imprégnés de ce que l’on a appelé «l’esprit de Bouzaréa». Ajoutons qu’en plus d’un complément de formation pédagogique théorique et pratique, les travaux manuels et l’agriculture occupaient un horaire plus important que celui proposé aux autres normaliens, ce qui permettait aux futurs maîtres de satisfaire efficacement aux exigences des programmes de l’enseignement des indigènes de 1892 et 1898. C’est par la nature de son recrutement et par son enseignement que l’on a pu dire de l’école normale de Bouzaréa qu’elle était « la préfiguration et l’archétype de l’école indigène (...) en tribu» (P. Bernard). De là aussi, le rôle décisif «d’agent général de la civilisation élémentaire plutôt que de maître d’école » joué par les «sectionnaires » en milieu rural. En 1957, le recteur de l’Académie d’Alger leur rendait hommage en ces termes «Ces maîtres (...) ont été, en effet, dans les villages ou les douars kabyles ou arabes, tout ensemble instituteurs, infirmiers, agriculteurs, écrivains publics, guides et conseillers d’une population qui les a vénérés comme des saints, et garde un souvenir nostalgique de leur action bienfaisante. L’Algérie leur doit beaucoup». Et, afin de montrer que ces formules ne sacrifient pas à un vain lyrisme officiel, écoutons à nouveau Joseph Boileau raconter :
« Pendant soixante ans, mes camarades, comme moi, avons essayé de réaliser notre idéal, d’organiser l’union fraternelle de tous les habitants sous l’égide de la France et de sa devise républicaine (...) Je me souviens de l’accueil chaleureux des populations (...), en particulier de cet ami de Bou-Adénane me disant d’un air très convaincu "Sachez, Monsieur, que nous vénérons nos instituteurs ».
En 1920, une modification de structure juxtapose deux écoles normales à Bouzaréa, l’une européenne, l’autre indigène, cette dernière résultant de la réunion du cours normal et de la section spéciale. De 1924 à 1928, le rapprochement entre les deux communautés d’élèves, commencé dès 1910 par le directeur Abd Der Halden, aboutit, avec Charles Dumas, à la fusion en une école normale unique. Une seule différence est conservée, pour un temps, l’existence de deux concours de recrutement distincts. Dès lors, normaliens européens et musulmans vivent côte à côte, en cours, aux réfectoires, aux dortoirs et «fraternisent en toute amitié (...) sans que ce régime (...) ait provoqué jusqu’à ce jour (1928), le moindre heurt et le plus léger froissement» (Ch, Dumas, t, Du, p. 41). Cette situation n’a pas varié. Pendant les journées mouvementées de mai 1958, une autorité académique put dire que «l’école normale de Bouzaréa avait été un havre de paix ».
Progressivement, la proportion d’instituteurs venus de métropole décroît au profit d’élèves-maîtres recrutés sur place, Indigènes d’origine musulmane, ainsi qu’une nouvelle catégorie d’Indigènes d’origine européenne, nés et fixés en Algérie, les «pieds noirs» du jargon actuel. Entre ces deux catégories, les différences de coutumes ou de religions convergent toutes vers une attitude essentielle commune une même fraternité, une même formation, un même idéal professionnel propres à garantir la continuité de l’œuvre.
Malheureusement le rendement quantitatif des écoles normales d’Algérie en personnel enseignant n’est pas en rapport avec leur valeur qualitative. On a essayé d’y remédier en créant de nouvelles écoles normales, une section d’adaptation à l’école normale de Constantine en 1946 ainsi qu’une section féminine à Alger qui ajoutait la puériculture à son enseignement. En 1959, leur capacité d’accueil avait quintuplé et la situation était la suivante :
Écoles normales Effectifs en 1959 :
Alger 550
Oran 395
Constantine 158
Bône 84
Tlemcen 54
Mostaganem 53
Orléansville 45
Sétif 27
Soit un total de 1366, dont 658 jeunes gens et 708 jeunes filles. Mais ces effectifs ne produisaient en fin de scolarité que 500 instituteurs environ annuellement, européens et musulmans, prêts à enseigner. Ce nombre passait à 1675 en 1960 et devait encore doubler en 1962. C’était néanmoins insuffisant pour couvrir les besoins d’une scolarisation massive et totale.
En effet, le tableau suivant montre l’état numérique du personnel enseignant dans l’enseignement primaire de type métropolitain

De 1945 à 1958, les besoins réels en enseignants s’accroissent donc en moyenne de 668 par an. De 1958 à 1965 inclus, les dispositions de l’ordonnance relative au «Plan accéléré de huit ans» devaient les majorer de 1800 par an, afin de porter leur nombre total à 30 000 environ pour assurer les objectifs de la scolarisation dans le secteur d’enseignement de type métropolitain. Il était donc inévitable d’avoir recours à des sources de recrutement autres que les écoles normales. C’est ainsi que certaines écoles primaires supérieures, de même que l’« Université populaire » (L’Université populaire dispensait des cours du soir par des professeurs d’école normale et de collège), étaient dotées de classes préparatoires au brevet supérieur, tandis que les lycées et collèges modernes fournissaient des instituteurs-bacheliers (quelques années plus tard, postérieurement à 1946). Mais, en 1956, la proportion des bacheliers de l’Académie d’Alger (2 181) qui se destinaient à l’enseignement n’excédait pas 20 à 30 %. Elle était donc insuffisante pour compenser les départs en retraite et surtout l’ouverture des classes supplémentaires, d’autant plus que depuis 1945 la métropole n’était plus en mesure de fournir à l’Algérie l’appoint nécessaire. Or, les cours complémentaires, les écoles primaires supérieures et plus tard les collèges d’enseignement général produisaient un contingent appréciable de titulaires du brevet élémentaire, titre de capacité d’enseignement légal. En 1944, on créa un Cadre spécial ouvert aux jeunes gens pourvus de la première partie du baccalauréat ou du brevet élémentaire ou du diplôme d’études des medersas ce qui donnait un recrutement large et aisé. Il sera d’ailleurs absorbé par le cadre normal d’instituteurs, après 1949, date de la fusion des enseignements européens et indigènes.
En 1956, il fallut à nouveau avoir recours à la création d’un autre corps, celui des instructeurs, sans lequel l’enseignement de base et conséquemment la scolarisation totale auraient été condamnés à l’échec. Le décret du 17 août 1956 permettait d’accéder à la fonction d’instructeur par tout un ensemble de diplômes parmi lesquels, outre la première partie du baccalauréat et le brevet élémentaire, toute une série de brevets (brevet d’études du premier cycle, d’enseignement industriel, d’enseignement commercial) et enfin le diplôme de fin d’études des lycées franco-musulmans, ce dernier permettant d’accroître le recrutement des maîtres musulmans. A titre indicatif, on comptait en 1957, parmi le personnel enseignant musulman, 33 % d’instructeurs dont 7 % d’instructrices.
Le fait de recruter sur diplômes de niveau plus modeste que le brevet supérieur ou le baccalauréat fut inévitablement l’objet de critiques diverses. Elles s’inspiraient du souci de sauvegarder la qualité d’un enseignement primaire qui avait fait ses preuves. Mais elles semblaient omettre qu’une formation professionnelle avait été prévue pour les instructeurs, dans les sections spéciales des écoles normales et par les inspecteurs départementaux de l’enseignement primaire dans leurs circonscriptions. Les instructeurs prenaient donc connaissance des méthodes fondamentales de pédagogie appliquée. En outre, une préparation spéciale au brevet supérieur et au baccalauréat leur permettait d’accéder au cadre normal des maîtres d’enseignement primaire. Beaucoup y sont parvenus. Il serait, en tout cas, peu confraternel d’oublier que la plupart sont allés «servir » dans des postes peu « confortables ». Ainsi, c’est une nécessité d’ordre statistique qui imposait sa loi et toute analyse critique venait buter contre ce dilemme recruter à niveau élevé et scolariser à un rythme tel que l’entreprise eût exigé des délais de l’ordre du siècle, ou bien opter pour la rapidité. La pression exercée par la demande d’instruction, la volonté de faire reculer puis disparaître l’analphabétisme grâce à la scolarisation totale ont commandé le choix.
CONCLUSION.
L’école était le creuset où se fondait l’alliage des populations algériennes entre elles et avec la France. (Marcel-Edmond Naegelen)
Il est légitime d’évoquer ce que l’enseignement primaire français a légué à la République démocratique algérienne en 1962, bien que tout ce qui précède renferme les éléments de réponse. Disons d’abord que «l’héritage» fut amputé de la fraction du corps enseignant européen et musulman qui choisit d’emblée de se «rapatrier », c’est-à-dire la totalité des Européens à quelques unités près. Pour les académies métropolitaines déficitaires en instituteurs, du Nord et de l’Est notamment, cet afflux fut une circonstance avantageuse. Par ailleurs, l’exode massif de la population européenne laissait désormais disponible les quelque 130 000 places scolaires qu’occupaient jusque-là ses enfants et qui allaient donner à la scolarisation algérienne une impulsion sensible, moyennant toutefois le concours d’autres maîtres, invités au titre de la Coopération, en attendant l’«algérianisation» du personnel enseignant primaire.
Il nous paraît donc opportun de recalculer le taux de scolarisation potentiel global, à la rentrée scolaire 1962 pour l’ensemble des Musulmans âgés de 6 à 14 ans. Toutefois, l’insuffisance d’informations statistiques nous impose d’effectuer ce calcul pour l’année 1960, année moins scolarisée que 1962, ce qui entraîne une première approximation par défaut non négligeable. A cet effet, il convient d’additionner les effectifs primaires de toutes catégories public, privé, complémentaire, professionnel, ainsi que ceux du premier cycle de l’enseignement du second degré puisqu’il recrute de il à 14 ans. En outre, il faut également intégrer les effectifs des classes maternelles bien que l’âge des enfants soit inférieur à 6 ans, car ces classes ont été affectées au cycle élémentaire algérien, à l’exception de quelques grands centres (information de source algérienne universitaire et d’ordre privé). La République démocratique a, en effet, redistribué son système éducatif en trois cycles cycle supérieur, cycle moyen, cycle élémentaire. Ce dernier rassemble les enfants de 6 à 12 ans et non de 6 à 14 ans. Cette différence de durée de scolarité exigera un rajustement de notre calcul ultérieurement. D’où le bilan de la capacité d’accueil globale :
Mais il importe de ramener ce taux à la tranche d’âge 6-12 ans du cycle élémentaire algérien. Le rapport des nombres d’enfants scolarisables de 6-14 ans et de 6-12 ans respectivement est aisément calculable, du moins pour l’année 1954 pour laquelle la « pyramide des âges» est connue grâce au recensement officiel. Ce rapport est sensiblement égal à 1,3, conformément à l’évaluation graphique présentée dans le tableau 24. Or, en adoptant ce même rapport pour l’année 1960, plus peuplée en enfants et adolescents, on commet une seconde approximation, mais par excès cette fois, qui est donc plus ou moins compensatrice de la précédente. En conséquence, en quittant le sol algérien en 1962, la France laissait au futur cycle élémentaire algérien une capacité d’accueil exprimée par un taux de scolarisation potentiel global voisin de 47,5 % x 1,3 = 62 % environ.
Comparons ce résultat à la situation scolaire de l’Algérie indépendante au 10 octobre 1978, telle qu’elle est décrite par le journal El Moudjahid du 20 novembre 1978 et qui fait état d’un taux de scolarisation de 74,5 % pour le cycle élémentaire de 1978. Il en ressort une progression de 12,5 % par rapport à 1962. Ainsi après 16 ans d’indépendance, l’effort d’expansion de l’enseignement primaire s’est donc poursuivi, certes. mais à un rythme bien ralenti.
L’œuvre laissée inachevée par le retrait de la France l’est donc encore actuellement et le bel idéal d’une scolarisation totale, si souvent ,revendiquée naguère, appartient toujours au domaine onirique, au détriment de l’enfant.
Telle apparaît donc, crayonnée à grands traits, l’essentiel de l’évolution de l’enseignement primaire en Algérie française de 1830 à 1962. Plus précisément, en ce qui concerne l’enseignement des Musulmans, la période stérile du premier cinquantenaire réduit, en fait, la durée d’évolution à quatre-vingts années à partir de 1882, date de naissance de l’école laïque. En France, par contre, l’école publique, l’une des grandes idées issues de la Révolution de 1789, ne parvient à son statut quasi définitif qu’à partir de la même date de 1882, au prix d’études laborieuses, de réformes successives, de luttes scolaires passionnées. Il n’est donc nullement excessif de dire que de l’Algérie turque qui ne possédait pas d’enseignement institutionnalisé, à l’Algérie «algérienne » qui hérite d’une institution moderne, le passage de la France dans ce pays lui a fait économiser un bon siècle d’évolution. Accélération de l’Histoire qui n’est pas un mince avantage, même si l’institution actuelle entend désormais répudier tout ou partie de la civilisation occidentale.
L’aboutissement logique de ce travail devait être un bilan général de l’œuvre réalisée, avec son actif, son passif, sa résultante. Mais est-il possible, en raison du mélange complexe de faits relevant, les uns de la mesure, les autres de l’estimation? D’autant que ce qui n’est pas quantifiable est peut-être ce qui a le plus de valeur. C’est le cas de la fonction élitiste de l’école primaire qui détient, à cet égard, en première instance, le pouvoir reproducteur. Elle est généralement éclipsée par l’éclairage que les auteurs dirigent sur les insuffisances du système et sur l’opposition qu’ils y voient à l’encontre du principe de démocratisation. Pourtant, si, comme l’écrit le célèbre biologiste Pierre-Paul Grassé dans un ouvrage récent (Toi, ce petit Dieu.), « une société saine, équilibrée considère son élite comme son bien le plus précieux », l’élite musulmane que l’école n’a cessé d’engendrer ne saurait être omise d’un bilan rigoureux. En essaimant de l’école vers tous les secteurs de l’activité humaine, l’élite a rendu possible la prise en charge de la société algérienne actuelle. Il en va de même de la valeur des méthodes d’éducation. Moyennant la séparation des cultes et de l’enseignement, elles étaient, en Algérie notamment, les plus aptes à réaliser la formation intellectuelle, manuelle, préprofessionnelle de l’adolescent. C’est à quoi ne pouvait prétendre l’école coranique polarisée par l’objectif religieux, ankylosée dans une routine scolastique.
Mais, un jugement normatif, comme d’ailleurs tout système de pensée, n’échappe pas à l’« a priori» d’un postulat. C’est la raison pour laquelle nous avons rassemblé, en guise de conclusion, un ensemble de jugements prélevés dans les milieux idéologiques les plus divers et postérieurement à1962 (sauf exception). Du côté européen et surtout métropolitain, parmi les historiens et sociologues de tendance anticolonialiste et «progressiste» on découvre toujours, en contrepoint, un jugement plus ou moins explicite partiellement favorable. Yvonne Turin qui fut professeur d’histoire à l’actuelle université d’Alger au titre de l’assistance technique, objecte que «se voiler la face devant la bonne conscience des médecins et des maîtres du XIXe siècle serait commode, s’il était possible de découvrir un progrès où le Bien n’ait pu cheminer en compagnie du Mal, où le Mal, n’ait pu, à ’occasion servir le Bien ». Le Mal, c’est l’irruption de la culture occidentale ressentie par l’Indigène comme un choc, une déchirure. C’est aussi le fait qu’il n’y avait « pas d’autre lumière en ce monde arabe traditionnel du XIXe siècle que le Coran et ses commentaires» et pour y parvenir «pas d’autre méthode pédagogique qu’une sempiternelle récitation » du Livre sacré. Le Bien c’est évidemment la médecine et l’école. Mais ce constat manichéen ne va pas loin. Il prend acte de l’existence d’un Bien sans plus. Fanny Colonna, dans un ouvrage pour lequel elle remercie Mouloud Mammeri d’avoir bien voulu discuter les bases et revoir certaines parties du texte, avance avec beaucoup de réticence, il est vrai, « qu’il se pourrait aussi que les Réformateurs (ceux de la troisième République) et agents du système scolaire ne soient pas si loin de la vérité quand ils parlent de “conquête des âmes” et d’apprivoisement » des Musulmans d’Algérie, considérés par ailleurs comme victimes d’une colonisation intellectuelle imposée par des maîtres à la solde du pouvoir colonial. Pour Charles-Robert Ageron, la part réservée à l’actif du bilan est moins parcimonieuse. S’il interprète la nature des rapports entre les Algériens musulmans et la France de 1871 à 1911 en se référant à l’éternel vae victis, il reconnaît successivement qu’« un grand nombre de jeunes Musulmans ont appris avec la langue française, les premiers éléments de la civilisation moderne» et, plus loin, «qu’en dépit d’un faible taux de scolarisation, l’école française eut une influence morale considérable ».
Dans le secteur idéologique diamétralement opposé, les défenseurs de l’œuvre scolaire sont légion. On peut leur choisir pour porte-parole avisé Marcel-Edmond Naegelen en raison des fonctions qu’il a tour à tour assumées, de professeur d’école normale, ministre de l’Éducation nationale et gouverneur général de l’Algérie. Avec lui, l’école, en ce pays, devient «la plus belle, la plus pure, la plus féconde des victoires françaises». Elle lui procure joie et fierté devant la « parfaite harmonie qui régnait entre maîtres musulmans et maîtres d’origine européenne » et surtout dans l’absence de « fossé (...) entre les élèves ni dans les salles de classes, ni dans les cours de récréation ».
Du côté musulman, on ne trouve pas non plus de griefs exprimés sans une contrepartie plus ou moins élogieuse. Le professeur Ali Mérad, par exemple, porte sur la politique scolaire française en Algérie des jugements sévères (dont nous lui laissons l’entière responsabilité) « Politique dominée par l’immobilisme (...) - manque d’imagination et de générosité de l’administration d’Algérie en matière d’instruction des Musulmans (...) -(le) peu d’empressement à scolariser l’enfance musulmane (...)». Pourtant il n’en souhaite pas moins, et en 1963, le maintien, dans l’enseignement algérien, de «cet instrument de choix qu’est la langue française pour acquérir la culture générale et la formation scientifique et technique indispensables aux citoyens du XXe siècle ». Parfois, même, l’éloge atteint des tessitures élevées. «S’il est en Algérie (déclarait l’instituteur Farès en 1954), un domaine où l’effort de la France ne se discute pas, c’est bien le domaine de l’Enseignement. On peut et on doit dire que l’école a été un succès certain. Les vieux maîtres, les premiers instituteurs ont apporté toute leur foi pédagogique sans arrière-pensée et leur influence a été extrêmement heureuse ». Il n’est pas jusqu’aux Algériens nationalistes qui ne s’associent à cet éloge. Ferhat Abbas, premier président du G.P.R.A. (Gouvernement provisoire de la République algérienne), vante ces «missionnaires de l’école française et de la science, dont le dévouement à l’école autochtone n’avait d’égal que leur volonté de rapprocher les Algériens de la France ». Cet éloge des nationalistes musulmans est tout au plus modulé par deux reproches l’inspiration laïque de l’école française et son enseignement de l’histoire. C’est oublier qu’une école non laïque n’est possible que dans une société exempte de pluralisme religieux et philosophique. C’est méconnaître que l’influence laïcisante française a permis de tempérer des penchants excessifs pour la superstition et la magie, compatibles ni avec la foi ni avec le déterminisme scientifique. Quant au fait que des manuels d’histoire, imprimés en métropole le plus souvent attribuaient abusivement un atavisme gaulois à leurs jeunes lecteurs d’origine non métropolitaine est un argument de poids spécifique dérisoire, d’une part parce que les instituteurs n’étaient pas assez naïfs pour ne pas corriger, d’autre part parce qu’ont très vite coexisté deux enseignements dans cette discipline, celui de l’histoire de France et celui de l’histoire de l’Algérie.
Il eût été judicieux, face à ces louanges et après l’abandon de fait de l’Algérie par la France, de découvrir les jugements des représentants de l’ancien «esprit colon». Sans doute traduiraient-ils la justification des prédictions que leur inspirait le danger de l’enseignement des Indigènes. Le désir de rejeter, en effet, la civilisation du colonisateur, d’autre part les idées du décolonisé qui redécouvre sa civilisation propre, conduiraient alors à la réhabilitation de la tendance obscurantiste des colons et des Musulmans à l’origine, sous couvert de conservatisme des uns et de nationalisme des autres et donc, en retour, à l’accusation de cette oeuvre. Mais, à quoi bon culpabiliser un corps enseignant sous prétexte qu’il a contribué à forger les armes qui ont infligé à son humanisme une sorte de défaite morale imméritée? On ne désapprend pas, même en milieu colonial, les valeurs ancestrales d’une culture et d’une éthique.
Reste donc, en ultime analyse, à déterminer le sens de l’inéquation entre l’actif et le passif du bilan étudié. La résultante, à nos yeux, est indubitablement positive. En attendant la consécration de Clio.