La vie de l’école vient de se condenser dans les dortoirs où s’affaire la joyeuse promotion bleue pour ses derniers préparatifs de voyage promotionnel : valises brusquement fermées, tout en chantant, foulards que l’on essaie savamment devant une glace (il s’agit de paraître des voyageuses très averties).

 Puis c’est la précipitation vers la sortie et la descente de la côte en chantant - Un ciel d’azur ; il fait bon- Jamais nous ne nous sommes senties aussi heureuses d’être réunies – Quel enthousiasme quand sur les quais de la gare, nous voyons réaliser le début du voyage tant attendu ; il clôt un long trimestre d’efforts et sera sans doute le meilleur souvenir de notre vie en commun.

 Nous adoptons joyeusement Marie-Rose Branca, comme nous avons adopté  la gentille Gachotte.

 Après une première photo nous nous hissons dans les compartiments qui nous sont destinés. Mlle l’Econome venue assister à notre embarquement, gratifie nos mines épanouies d’un rire qui en dit long – En grappes aux portières nous prodiguons des paroles de consolation à Madame qui a le regret de ne pouvoir nous rejoindre que le lendemain.

 Un strident coup de sifflet et le train s’ébranle ; c’est le touchant moment des adieux joyeux (pour huit belles journées en perspective) aux études et à Constantine. C’est du délire dans le couloir du wagon que nos chants emplissent – Lucette Charrier enthousiasmée déclare qu’elle aime tout le monde – Il faut croire que la promotion vibre à l’unisson puisque à El Guerrah elle tient à faire part de son bonheur à de petits indigènes assis sur le rebord d’un fossé en bordure de la voie – Ils nous regardaient et nous écoutaient d’un air si ébahi  que nous leur lancions presque tous les bonbons en notre possession. Comme ils ne se rendaient pas compte de quoi il s’agissait, nous dûment réunir toutes nos notions d’arabe et force gestes pour les faire se précipiter où il le fallait, au moment où le train s’ébranlait à nouveau.

 Nouvelles gares, notre entrain est devenu contagieux et gagne le personnel des chemins de fer ; ici le chef de gare arpente le quai au rythme de nos chants, là un contrôleur nous accompagne au violon, plus loin ce sont des applaudissements frénétiques. On chante encore et les gorges doivent se réconforter de pastilles.


 Sétif. Notre troupe s’augmente de Melle  Carreau et de Myette que nous recueillons triomphalement par des cris de joie, des embrassades et des chants qui ont tôt fait de les mettre à l’unisson – Nouveaux et vigoureux applaudissements de nos auditeurs qui nous réclament d’autres chants – seraient-ce nos foulards  et notre débordante gaieté qui nous attirent tant de sympathies, que nous croyons être prêtes à être couronnées d’une glorieuse auréole – Puis le calme revient au départ du train pour

Bordj-Bou-Arréridj où nous offrons aux parents d’Yvette une audition qui n’est pas fort goûtée par le petit Jean-Paul, frère de notre amie que l’ampleur de notre chorale parait effrayer. On s’approvisionne en makroutes et le train s’ébranle encore. Sur notre passage dans les gares et entre elles dans la campagne, nouvelles manifestations répondant à nos chats, nous voyons des bambins faire d’endiablées cabrioles.. ;. mais la nuit tombante amène un commencement de silence dans nos compartiments où nous nous installons de notre mieux et dont nous ne sortirons dans le couloir qu’en vue d’Alger qui fait pousser des cris fous à Georgette Baguer.

Toujours en chantant, nous débarquons avec le plus grand enthousiasme et sommes accueillies par Raymonde Rolland qui nous offre des bouchées tout en manifestant sa grande déception de ne pas trouver Madame parmi nous. Après une visite, hélas trop courte, de la ville, un car nous a transporté à l’hôtel Bellevue où nous prévoyons une nuit agréable et confortable : terrasses, grandes baies vitrées, jardins…etc…Nous sommes très impatientes de visiter nos chambres d’une nuit et effarons le respectable placeur de l’hôtel, qui ne pouvant répondre à une vingtaine de pépiantes jeunes filles, s’énerve, bégaie, s’agite désespérément , a des gestes qui ressemblent à des  passes magnétiques qui n’ont nullement le don de nous apaiser . Nous sommes cependant assez vite casées. Certaines sont favorisées : belles chambres donnant soit sur la baie, soit sur un délicieux parc ; mais Mauricette Droit, Georgette Cournac, Marie et Yvette nous font part de leur déception de s’être vu octroyer des chambres de domestiques d’où comme panorama elles découvrent une minuscule et sombre cour. Leurs doléances provoquent des rires peu charitables qui n’ont pas le don de calmer Marie qui continue à protester jusqu’à la salle à manger où elle reprend un peu de bonne humeur à la vue d’une superbe corbeille de fleurs posée sur la table, elle se laisse ensuite gagner à la bonne humeur générale que provoque Yvette en se mettant au piano et en nous entrainant toutes à  la danse avant de prendre un repas gai et bien apprécié. Celui-ci terminé, nous éprouvons toutes, le besoin d’un sommeil réparateur des fatigues de la journée. Nous gagnons nos chambres, beaucoup s’endorment vite et lourdement tandis que dans une chambre sous la terrasse de l’hôtel se déroule un mélodrame : Marie et Yvette s’étant glissées dans les draps discutent des avantages de la position « couchée » sur la position « debout », lorsque « horreur ! » sur la blancheur des draps elles distinguent une petite chose d’aspect cotonneux qui remue et qui les inquiète. Yvette la gratte de son index et il en sort un minuscule vers rose et blanc qui a le don de faire se retrouver sur la descente de lit des deux héroïques jeunes filles desquelles Mme Ognibène n’a jamais pu obtenir un ensemble aussi parfait aux leçons de culture physique. Une nouvelle exploration leur fait constater avec désolation la présence d’autres asticots de la même espèce. Protestation énergique est présentée au patron de l’hôtel qui, s’étant rendu à l’évidence, entraine Marie et Yvette, porteuses de leurs valises et tous autres objets, vers une des plus belles chambres où elles achèvent paisiblement la nuit.

     

Dimanche 10 avril


 Dès 6 heures, pour ne pas perdre une de ses bonnes habitudes, notre sympathique Gazelle (alias Paulette Favard), procède  à sa tournée de réveils. A son appel nous sautons toutes successivement des lits sans discuter. Après le passage aux salles de bain : promenade dans les jardins de l’hôtel qui se révèlent à nous plus beaux que la nuit, photos sentimentales sur la terrasse en attendant l’heure du petit déjeuner. Brusquement un petit homme, grassouiller mais très alerte fait une irruption troublante parmi notre petite troupe : le train de Constantine arrive à 6h45 et non 7h45 nous crie-t-il, contrairement aux affirmations du patron ; il soutient sa thèse avec énergie, dans une attitude désespérée qui ne manque pas de comique, mais qui nous fait cependant accélérer nos préparatifs. Dans les couloirs ce sont les rituels « dépêchez-vous, pressez-vous, hâtez-vous » parmi des courses affolées. Le petit déjeuner est englouti à une vitesse record et nous nous précipitons dans …notre car, notre même beau et confortable car rouge d’hier soir, et en route vers la gare en pleine gaieté car un ciel d’azur nous promet une superbe journée. Nos voix reposées par la nuit cherchent à se surpasser pour les habitants et passagers de la rue Michelet.

 Nous arrivons en gare où nous avons la très agréable surprise  de trouver Madame sur les quais ; elle a réussi à nous rejoindre au moment le plus opportun (après avoir manqué notre train à Constantine) grâce  à l’amabilité d’un Monsieur Grau possédant une machine défiant en vitesse les trains les plus rapides (certaines d’entre nous ont eu la chance d’apprécier les bienfaits d’une machine du même genre pilotée par Monsieur Coussignac). Madame s’étant légèrement restaurée, puis approvisionnée, c’est le vrai départ pour le but principal de notre voyage : le sud algérien.

Nous exigeons que le chauffeur découvre le car et, celui-ci à peine éloigné d’Alger, voit son arrière se garnir de grappes de normaliennes, debout sur les banquettes, chantant à tue-tête dans un enthousiasme débordant qui respire une plénitude de vie, de jeune force, de puissance, de bonheur. Dans la superbe campagne algéroise, les exclamations admiratives se succèdent  car il ne nous a pas été permis de voir dans la campagne constantinoise quelques coins, moins étendus, mais qui existent paraît-il. Les barres se succèdent, pour des arbres en fleurs, pour autre chose. Nos cris ragaillardissent des coureurs cyclistes que nous abandonnons assez vite hélas à leur dur sport, pour nous laisser transporter vers

 Bouffarik- Arrêt place de l’église où l’on nous offre des rameaux bénis.

Mlle Carrau aperçoit, venu à notre rencontre, son frère qui l’emmène, ainsi que Madame, dans son auto, précédent notre car remis en route. Après Blida, toutes deux nous reviennent chargées de gâteaux et d’une magnifique gerbe de roses et c’est bientôt :

 La Chiffa. L’aspect du pays devient tourmenté, la nature âpre. Nous approchons des gorges puis nous y engageons. Elles sont très encaissées. Le printemps a parsemé leur aridité d’un peu de verdure ; leur pittoresque arrache à toutes des cris d’admiration. Dans son enthousiasme, Lucette s’entête à vouloir prendre des photos tandis que les cahots du car impriment à son appareil d’inquiétants mouvements. Plus prudentes, Melle Carrau et Suzanne attendent un arrêt. A la sortie des gorges nous filons en prenant de l’altitude, par un air très frais, vers

 Médéa. Soudain sur la route, près d’une auto à l’arrêt nous reconnaissons Mlle Lemestroff Bien vite nous la gratifions d’une aubade, l’accueillons dans notre car qui file vers la cave coopérative de Lodi  que Mr Lemestroff nous  fait visiter aimablement de façon très intéressante et agréable.

 Cette visite se termine de façon plus agréable encore à une table couverte de gâteaux, de coupes et de bouteilles de mousseux dont Mesdemoiselles Lemestroff nous font les honneurs avec une prévenance et une simplicité qui nous mettent tout à notre aise et nous touche profondément. Nous quittons cette belle et hospitalière famille sur une chanson d’adieu. Invitées à emporter le reste de notre festin : belles couronnes, langues de chat…etc…, en jeunes filles bien élevées, nous ne nous faisons pas prier.

 Nous laissons Mlle Lemestroff à Médéa mis en révolution, non par nous (suivant notre modeste hypothèse) mais par une cavalcade de Spabis. Nous roulons dans une campagne qui devient sèche ; nos cordes vocales fatiguées, les chansons ne reprennent pas leur entrain ; nous nous assoupissons un peu. Les chants se font de nouveau entendre, les plaques indicatrices nous signalent :

 Boghari. Tous les garnements du village (et ils sont nombreux) nous font un accueil à notre gré trop empressé, car nous ne pouvons descendre de voiture qu’en calmant l’effervescence de toute cette jeunesse et en nous frayant un passage à coups de sacs à main et d’appareils photographiques et conscientes d’avoir échappé à un réel danger d’étouffement .et de vol, nous rentrons à l’hôtel.

Ici on nous apprend que les normaliennes d’Oran nous ont un peu précédées et qu’elles déjeunent. A la grande joie un peu hébétée des habitués du restaurant, notre école normale de Constantine forme une longue chaine bruyante qui salue chaleureusement par sa chanson promotionnelle. Passons sur la réponse de l’Ecole Normale d’Oran qui nous a un peu déçues. Le repas de l’école se prolonge au-delà de notre attente. Et puis un guide bleu indique qu’un proche village arabe est très intéressant ; nous désirons le voir et réquisitionnons le maître d’hôtel comme guide. Une première montée nous donne un avant goût des grimpettes successives et vertigineuses qu’il faut effectuer dans ce pays, nous arrivons au village pour voir : une mosquée comme beaucoup d’autres ; il faut monter dans le noir ; non merci ; ensuite une école coranique où l’on constate qu’au point de vue vélocité, les écoliers indigènes dépassent de beaucoup les principes de répétition d’Alain et de bien d’autres qui ne leur ont cependant jamais rien conseillé.  Il y a encore un Marabout. Il faut bien aller le voir ; il a paraît-il un pouvoir tout à fait extraordinaire ; c’est ainsi qu’il nous effraie en nous apprenant le plus sérieusement du monde qu’une femme peut avoir un garçon 6 mois après qu’il lui a rendu visite ; c’est légèrement inquiétant. Ce qui l’est encore plus est une incursion pas trop hardie et en rangs comprimés dans le quartier des Ouleds Naïls ; celles-ci guindées dans leur attifement sourient à notre passage que nous voudrions plus rapide. Nous redescendons en pressant le pas jusqu’à l’hôtel. Pour remonter dans le car nous devons nous frayer un passage par les mêmes moyens qu’en en descendant tout à l’heure, au milieu de gamins crasseux empêchant toute circulation et qui se livrent à des manifestations loin d’être de notre goût.) Le nez de Simone fait connaissance avec une chéchia dans laquelle on a craché). Madame nous ayant rejoint avec des propositions de pain et de chocolat, le moteur ronfle et nous repartons vers la mer d’Alfha. Nous traversons d’abord des plateaux assez semblables à ceux de notre département, mais les routes y sont moins confortables. La campagne est une terre triste ; mais voici de grands chotts bleu argent qui font revivre notre enthousiasme. Plus loin, l’illusion nous fait prendre systématiquement un troupeau de moutons pour un mirage. Toujours des herbes maigres parmi quelques tamarins. Nous avons hâte de voir la mer d’Alfha. La voici : calme océan gris moutonneux, d’une monotonie désespérante. Ne devions-nous pas apercevoir dans cette région le mont des Ouleds Naïls, certains rochers de sel aux environs de Djelfa ? Rien à l’horizon. Chantez encore normaliennes ! Ne vous endormez pas, il doit bien rester encore de belles et curieuses choses à voir.


 Djelfa Un arrêt pour goûter et surtout dégourdir nos jambes, une ronde sur la place suscite la curiosité sympathique de la population. Le public applaudit nos ébats qui lui paraîtront de trop courte durée. Nous passons au baptême du car (question grave entre toutes et qui ne peut être résolue que par un vote : à l’unanimité c’est Camélia qui recueille de frénétiques applaudissements. « Vive Camélia ! »

 On repart. Epuisées par les excès de la journée, les voix renoncent à un nouvel effort. Les chants font place à des conversations d’abord générales, puis par petits groupes ; les attitudes respirent la lassitude. On songe à nouveau aux Monts des Ouleds Naïls ; ce fameux rocher de sel, inaperçu avant  Djelfa, le verra-t-on après ? Parti du devant, l’assoupissement gagne l’arrière ; puis en même temps que les veilleuses (gênantes pour les yeux) s’éteignent, s’éteignent les dernières énergies. Il fait nuit depuis au moins quatre heures quand le veilleur du car signale la distance lue sur les bornes et secoue au moment opportun les dernières traces d’assoupissement pour l’entrée à :

 Laghouat Tous les yeux ne sont pas encore décillés que nous faisons notre entrée  triomphale dans la ville au chant bien enlevé de la chanson promotionnelle. Nous n’apercevons que peu de chose de la ville en roulant vers l’hôtel saharien qui ne paie pas de mine, mais où nous espérons cependant nous arranger. Le casement commence ; les premières servies trouvent des chambres bonnes ou potables, une partie des dernières (quatre) sont parquée dans une horrible pièce qui vaut une description sommaire : « Elle communique avec la cuisine par toutes sortes d’ouvertures »; des lits « montés sur planches du tout dernier modèle, des tables de nuit sans portes ni tiroirs comme ornements ; un superbe oiseau de proie empaillé, fauve et menaçant pour bercer les rêves des quatre élues sans vote ; éclairage par une seule lampe baladeuse avec fil de 8 m ; comme matériel d’hygiène, un seau un peu cacao qui fait l’admiration de Mauricette Rudel puis un lavabo en dehors pas trop loin. (ça c’est du confort moderne). Le reste avec Madame et Mademoiselle Carrau se dirige allègrement vers l’annexe de l’hôtel. Toutes en reviennent désespérées (c’est encore mieux qu’à l’hôtel !)

Nous espérons qu’un bon repas compensera l’inconfortable des chambres et convoquons le maître d’hôtel ; il ne comprend pas très bien le français et paraît légèrement abruti ; nous voudrions lui expliquer qu’il a octroyé à l’Ecole Normale d’Oran les chambres retenues pour nous ; polyglotte, il commence en allemand une conversation avec Gachotte, la continue en anglais avec Madame à qui il confie des projets de voyage. L’installation dans les chambres s’étant effectuées tant bien que mal, un drame se passe à l’annexe. Après la découverte de vers d’une teinte un peu plus foncée que ceux d’Alger, les voyageuses sont honorées d’une sérénade qui les tient éveillées presque jusqu’au jour.


Lundi 11 avril :


 Levées trop tard nous n’arrivons qu’à 8heures ½ au lieu de 8 heures à rejoindre un très sympathique instituteur de Laghouat qui se dévoue pur nous faire visiter la ville et ses environs dont nous avions entrevu l’ensemble de nos fenêtres. Nous partons en chantant ; notre  première visite est à une mosquée au minaret duquel nous grimpons par un étroit escalier et d’où nous prenons des photos. Redescendues, nous sommes dirigées vers des jardins privés dont notre bon génie(l’instituteur) nous a ouvert les portes sans que nous les voyions. Des merveilles ces jardins, on pourrait faire un cours de géographie sur leurs trois étages de végétation, savoir : palmiers dont certains immenses, treilles de vignes vertes et fraiches, arbres fruitiers, cultures maraîchères connues de toutes. Nous avançons  lentement entre des séguias alanguies qui coulent, se perdant, font un paysage clair et humide bien qu’il n’ait pas plu depuis octobre ; C’est une féérie.

 Là se passent des épisodes dont le héros est un jeune adolescent indigène : Bachir .

Les lieux : une allée de bois fleuri, une délicieuse cabane, aux abords une abondante végétation qui nous émerveille. Bachir nous apprend que certains abricots donnent mal aux yeux, puis tout en causant abondamment il devient lyrique, déclame Waterloo et du Hérédia.

Tout à coup beaucoup de sable marquant la limite théorique des jardins et le commencement du désert. Et dans ce sable nous éprouvons un intensif besoin d’enfoncer nos pieds et de les y trainer avec délice, de prendre des photos de troupe en toutes sortes de poses. Pour le retour nous passons par l’herbe fraîche où nous trainons nos pieds avec non moins de délices que dans le sable. Ce trajet nous permet de voir : d’abord, émergeant des herbages un grand diable de nègre que l’on dit « du Gourara », il est figé dans une attitude de curiosité ébahie. Plus loin nous assistons à la confection de toubes (briques de terre comprimées, cuites, séchées au soleil, servant à la construction des habitations de l’endroit et d’autres de même climat). Pendant ce temps, Bachir continue à nous faire part de son savoir ; il nous conte (avec quelques erreurs habilement parées, l’existence du Grand Napoléon 1er, cite des épisodes de la Grande Guerre.

Pascaline distraite par cette prodigalité de verbiage, tombe dans un séguia. Peu après, l’instituteur, toujours aussi charmant (si on n’avait pas les collègues) nous conduit par le village arabe à l’Ecole Ouvroir dirigée par des religieuses. La sœur supérieure, toute de douceur et de simplicité, nous fait admirer l’œuvre magnifique accomplie par les religieuses dans le bled saharien, bénévolement et en toute gaité de cœur. Toujours précédées par nos deux guides dévoués, notre groupe traverse un village encaissé et encombré où nous recevons un accueil aussi intéressé qu’empressé (mercantis, mercantis).

 Le retour à Laghouat (ville) s’effectue en passant près d’une belle dune, tandis que nous allons nous diriger vers l’hôtel, nos deux admirables cicérone prennent congé de nous et sont gratifiés  de nos plus chaleureux remerciements.

 Un déjeuner rapide, des envois de télégrammes, des préparatifs de route,…etc…nous amènent au car plus de deux heures après le départ des collègues d’Oran.

 Le chauffeur dans tous ses états nous annonce qu’on mangera de la poussière pendant 199 km (charmante perspective pour lui et pour nous).

 En route « au revoir Laghouat ». Evidemment chants des départs, chants qui bientôt se tairont car les ondulations fréquentes et prononcées de la piste ont une drôle de façon de bercer nos voix. A environ 40 km de Laghouat nous doublons les collègues d’Oran, en panne ; nous en éprouvons  une joie peu charitable et qui nous est fatale ; joie transformée en amertume un km plus loin où Camélia, dans une dépression de la piste se laisse casser un ressort et ne bouge plus. Le chauffeur prévoit deux heures d’efforts héroïques pour réparer l’avarie plutôt grave ; le délai prévu se prolonge indéfiniment. Cependant le moral des normaliennes ne faiblit pas, la bonne humeur du début du voyage ne perd pas ses droits ; elle est entretenue par le chant promotionnel et d’autres, par des jeux divers auxquels Camélia se prête assez bien par ses dispositions intérieures ; parmi ces jeux, il en est où la voyageuse désignée doit descendre pour aller cinq minutes se rafraîchir les idées au vent particulier de la tombée de nuit saharienne. Mais tout ceci imprime à Camélia des secousses qui ne facilitent pas la difficile opération que son vétérinaire veut lui faire subir. Nous changeons alors de distractions pour en adopter de moins remuantes ; il y a tentative de composition, en collaboration, de chanson narquoise sur la panne de Camélia. Les compétences sont paresseuses, les inspirations trop lentes. Nous confions à Madame le soin de faire mieux que nous dans l’improvisation d’une chanson. Strophe par strophe, celle-ci se commence, se continue pour se terminer sur des allusions directes et précises sur les mémorables évènements qui ont précédé la nuit qui commence.

 Depuis un moment, un beau disque de lune émerge à l’horizon, derrière la ligne télégraphique, et monte rapidement dans un ciel pâle comme savonneux.

 Allons-nous passer la nuit ici, avec des alentours presque nus à peine parsemés de socles de sable surmontés de maigres plantes sur lesquelles souffle un vent glacial ?

C’est peut-être possible ! Cependant malgré la déplorable nuit précédente, le tragique de la situation du moment, les lamentations du chauffeur conscient de sa responsabilité, la promotion bleue ne perd rien de sa gaieté et de l’espoir d’un secours. Cet optimisme est bientôt partagé par Madame, Melle Carrau et enfin le chauffeur même.

 Le veilleur s’installe pour scruter la route au loin ; les lumières  de Camélia s’éteignent sur notre fourmilière haletante, mais confiante en l’arrivée d’une auto de passage près de nous. En voici une ; à l’horizon plat on aperçoit comme deux comètes mignatures que lancent ses phares. Recrudescence de joie, rires éclatants, chants et rondes ; tout cela cesse sur la déception de voir la providence un instant entrevue, bifurquer brusquement et se dérober à nos yeux. La courbe de l’humeur descend légèrement, pour remonter après une petite collation. Encore quelques histoires bien amusantes pour se réchauffer des considérations profondes sur l’agrément des imprévus des voyages et le désagrément du prévu des coins et l’on va s’installer pour passer la nuit.

 A ce moment, une intervention de nos génies et de nos forces supposées étant sollicité, nous descendons du car pour le pousser dans une position pouvant faciliter sa réparation ; Madame, MlleCarrau et Lucette étaient restées à l’intérieur ; les secousses que nos efforts conjugués imprimaient à Camélia, leur faisaient échanger des courbettes involontaires assez violentes sans être dépourvues de toute grâce. N’ayant pu, malgré notre pleine bonne volonté, atteindre le résultat demandé (le chauffeur même, ayant pris comme nous son parti  de la situation de fait) tout le monde remonte dans le car pour l’installation nocturne définitive dont nous ne pouvons passer sous silence les détails qui pourraient intéresser une des lectrice éventuelle de ce compte-rendu et lui servir une nuit, les voici :

Pado réquisitionne tous les pull-overs disponibles et les passe par-dessus son manteau, elle attache quelques serviettes de toilette autour de sa tête et de son cou, quelques tricots autour de ses jambes et semble ainsi être prête à jouer un rôle de persane. Madame, Mauricette Rudel (qui ressemble à Toto Guérin), Léone Bresson (qui ressemble au malade imaginaire) et quelques autres prennent les places les plus avantageuses sur l’arrière du véhicule, le reste de la troupe se répartit le centre et l’avant. L’éclat de la lune devient presque aussi vif que celui du soleil ; la température est descendue très bas. Les occupantes de l’avant ont froid et en manifestent leur mécontentement, leur déperdition de chaleur dépasse ce qu’elles en prévoyaient d’après les conseils reçus de se vêtir chaudement dans le désert nocturne. Tassées dans l’arrière du car, Madame, Mlle Carrau Marie Rose Branca, Lucette, Myette, Mauricette…etc…se sentant s’assoupir, lancent nonchalamment des « Taisez-vous » « laissez-nous dormir » « dormons ». C’est fort bien comme injonctions en la circonstance, mais elles ne sont pas du goût des voyageuses auxquelles elles sont adressées ; glacées malgré les couvertures et les vêtements dont elles tentent d’arrêter les courants d’air, il faut qu’elles protestent, se frictionnent les bras, soufflent dans leurs doigts raidis ; leurs pieds entortillés dans des chemises de nuit dont elles ont passé les manches par les jambes, frappent les valises qui vibrent d’une harmonie toute spéciale. Sur la capote du car le murmure du vent fait accompagnement en troublant doucement le calme de la blanche nuit. De l’extrême avant proviennent encore des mouvements de mécontentement et des grognements précis, allant crescendo ; ils émanent de l’impétueuse Nono Vagnon qui n’a ni bu ni mangé, ni encore fermé l’œil (ceci lui arrive si rarement, la pauvre !)

 « Ah si vous étiez à ma place ! »

« Mais nous y sommes et ce n’est pas plus agréable d’être derrière toi, chacune a sa part d’inconfortable, il faut en prendre son parti ».

Mais Nono ne peut pas remonter la pente de son moral déficient, elle nous voit mortes de faim dans le désert, sans la consolation de funérailles nationales ; elle explose, même quand on ne s’adresse pas à elle ; il vaut mieux se taire. Les autres voyageuses ne se doutent pas de la situation dramatique, sinon elles n’auraient plus qu’à se browmaguer à bout portant.

 La lune brille toujours d’un bel éclat ; les voyageuses bizarrement emmitouflées dans les effets les plus divers, sont assoupies ; les corps penchés en avant, en arrière, de côté, présentent des attitudes dont beaucoup sont vraiment comiques ; on voit même des pieds se réchauffer sous les cuisses des voisines ; il y a souvent des changements de pose, les nouvelles sont aussi drôles que les précédentes. De temps à autre un réveil intempestif de groupe trouble le silence vite rétabli par des grognements venant de l’arrière.

 Puis on finit par entendre comme un bruit de papiers froissés, ce sont de multiples chuchotements ; on est presque à l’aube, la lune a pâli puis a disparu, l’éveil n’est pas encore complet, il faut attendre encore au moins l’aurore pour se dégourdir et se distraire.

 Tout à coup grand réveil en fanfare, on aperçoit une lumière, elle ne peut venir que d’une auto : cris d’espérance. Le chauffeur s’évertue à faire des signaux avec ses phares, nous attendons haletantes leur résultat. La lumière se rapproche, plus de doute, c’est du secours qui nous arrive car maintes fois dans la nuit nous avons entendu les vibrations des fils télégraphiques. La lumière se rapproche encore puis disparaît tout à coup dans un repli de terrain et file sur la piste opposée. Pour Nono nous sommes perdues, ses gémissements se transforment en rugissements (et sa grand-mère qui a dû rêver de foie coupé en morceaux) !

Allons ! On n’est plus qu’à 150 km de Ghardaïa. Courage ! Les descentes du car commencent, deux par deux des élèves s’abritent sous une couverture et partent en reconnaissance, mais reviennent bientôt. Le froid est encore trop vif et la couverture à deux insuffisante pour les en protéger.

 Le soleil apparaît, il est un peu plus rouge qu’à l’ordinaire, mais pas assez beau pour inspirer un poème au petit déjeuner : un bonbon à la menthe ; toilette : un coin de serviette imbibé de l’eau de Cologne directoriale à la lavande. Un tour de promotion, afin de trouver le motif pour lequel les autos venant des deux sens empruntent une autre piste que la notre. Bien que celle-là soit très éloignée, il faudrait y détacher un poste, puisque Madame pousse à ce que nous retournions à Laghouat chercher du secours, quoique 40 km, l’estomac creux, sur une piste cailloutée ne nous effraie pas plus que les soldats de l’an II.

 Mais le froid n’encourage personne à aller prendre la faction à l’endroit voulu, cette chère Camélia est un abri plus paisible. Attendons qu’il fasse meilleur. Au bout d’un moment, le veilleur signale une nouvelle auto. Vite il faut la rejoindre ou tout au moins s’en approcher suffisamment pour qu’elle aperçoive nos signaux. Sans commandement un groupe part à toute allure vers l’intersection des deux pistes. C’est ce dernier qui avait raison (groupe Antoinette). Par une course endiablée, il réussit à se faire apercevoir de l’auto (déjà engagée à notre opposé) qui stoppe ; le groupe la rejoint, les voyageurs font place aux normaliennes qui reviennent en chantant à s’époumoner, vers Camélia. Le clairon (Nono) ne sonne plus le glas de la détresse, mais la victoire complète.


Mardi 12 avril


 Le dépannage s’effectue d’autant plus vite que le chauffeur héroïque, dans un effort surhumain produit depuis la première miette de jour a pu réparer le ressort récalcitrant. Il reste à dégeler le moteur et pour cela pousser la voiture ; réconfortées d’un sucre à la menthe, toutes ensemble nous produisons l’effort demandé, Camélia est devenue docile, son moteur ronfle, c’est le départ. Nous pouvons maintenant chanter gaiement ;l’affreuse trogne de nuit de Nono a fait place à un visage hilare. La faim tenaille nos estomacs. Camélia roule alertement sur la route poussiéreuse et ondulée toujours vers l’horizon aux mirages étranges et arrive au

 Bordj de Tilrempt où nous prenons rapidement un copieux repas. Les assistants sont ébahis de notre forme et de notre enthousiasme persistant, mais pas du tout de notre aisance à vider plats et bouteilles. Prudemment nous emportons les restes de pain et le dessert, et en route pour Ghardaïa.

 Dans le car, après les chants rituels des départs, la lourdeur de l’air empoussiéré, la monotonie du paysage pierreux et triste, le secouage régulier de Camélia, font pencher toutes les têtes vers les poitrines dans une somnolence très voisine d’un sommeil dont nous avions d’ailleurs fort besoin.

A droite et à gauche : des montagnes noires tronquées, raides, posées là comme un décor ; quelques vallées où l’herbe à peine haute comme de la mousse est léchée et piétinée par des troupeaux maigres et nous apercevons des palmiers, c’est

 Berriane : Un paysage d’un vert bleu un peu poussiéreux, des sous-bois vert frais, des séguias blanches aux berges savamment ombragées comme des travaux d’enfants. Camélia, bien lancée traverse rapidement le village. A peine apercevons-nous des maisonnettes blanches et pouvons-nous deviner l’activité des puits de cette localité qui donne un avant-goût de villes du M’Zab, fraîches et claires. Encore quelques kilomètres d’aridité et nous sommes à

 Gardaïa : Enthousiasme, chansons d’arrivée. A l’hôtel le patron jovial et compatissant nous dit la grande anxiété avec laquelle il nous a attendu depuis hier soir dix heures. Nous avalons rapidement comme toujours le goûter copieux que nous servent des garçons empressés. La visite de la ville est sommaire et rapide ; il nous faudrait une journée, nous n’avons que deux heures , il faut compenser le retard provoqué par notre panne. La ville sainte musulmane vaut cependant la peine d’une visite détaillée. Nous rencontrons un nouveau marié de 12 ans ; muet et impassible ; nous ne pouvons voir le Caïd, à qui Mr Lemestroff nous adressait gentiment ; il s’était trompé de normaliennes, c’étaient celles d’Oran, maintenant vêtues de larges et inattendus boubous, qui bénéficiaient des honneurs et des renseignements qui nous étaient réservés.

 Un guide nous fait monter dans une tour que les anges dit-il ont construite il y a longtemps longtemps ; c’est un genre de minaret de mosquée, autant dire qu’il y fait noir. La plate-forme est à peine suffisante pour nous y tasser afin d’écouter les explications du guide. En se penchant un peu, en se cramponnant aux camarades, on peut apercevoir les villages voisins : Melika, Bou Noura (le père de la lumière) ; celui où nous sommes s’appelle Beni Isguène. En sortant de la tour, nous cheminons dans d’étroites rues montantes, nous passons devant de larges portails où s’engouffrent sur notre passage les petites indigènes épouvantées.

 Toute la troupe redescend sagement vers le marché aux légumes, puis se bouscule dans la boutique d’un marchand de curiosités qui ne sait plus où distribuer broches et cartes postales. Madame s’inquiète auprès du guide et du chauffeur pour nous faire véhiculer jusqu’à l’oasis située à 7 km de Ghardaïa.

 A prix d’or le Mozabite du magasin, sourd aux marchandages, met à notre disposition 2 taxis à 7 places. Dans le premier s’entassent le chauffeur, le guide, Lucette Charrier et 11 autres normaliennes ; Lucette et Kada le guide sont debout sur le marchepied, ils s’enlacent la taille mutuellement d’un bras, chacun se cramponnant de l’autre à la toiture du taxi.

 La 2ème voiture reçoit le reste de la troupe dont Madame, désolée. On étouffera pendant 7 km, mais on part quand même.

 Le spectacle de la première auto, où Lucette est dans une position périlleuse, fait pâlir Madame qui s’époumone à crier  

«  Arrêtez, arrêtez, elle va se tuer ».

Les taxis continuent leur course, prennent les virages vigoureusement, imprimant des chocs et contre-chocs dont on ne pense pas à rire. Une petite panne permet à Madame d’attirer vers elle Lucette et de la caser entre des têtes et des jambes jusqu’à l’Oasis. Ici Kada et Brahim nous font monter dans de minuscules et délicieuses habitations d’été, qu’ombragent des treilles vigoureuses et jeunes, rafraichies par une continuelle circulation d’eau claire dans les séguias savantes. En sortant de l’oasis, une vision de chameaux, de lune et de palmiers se fait contempler (pendant qu’on cherche Lucette, Yvette et Suzanne qui s’étaient isolées dans un coin pour se photographier). Une vrai carte postale s’écrie quelqu’un…Poésie !...

Après avoir enfoncé nos mains dans le sable frais, on se rentasse dans les taxis pour filer à toute allure vers l’Ouvroir des Pères Blancs où un instant d’arrêt nous permet d’admirer la science et les œuvres des enfants de la région et de faire des achats.

Les luxueux taxis nous laissent rentrer à pied à Ghardaïa en passant par les rues indigènes où de partout l’on retrouve le bric à brac Mozabites.

 De retour à l’hôtel, nous n’avons qu’une hâte : manger, dormir ; la journée a été rude, il faut se remettre en forme pour demain. Le repas est plutôt silencieux, mais des normaliennes ne doivent pas laisser voir leur fatigue, il faut se ressaisir ;  au chauffeur héroïque  et encore plus fatigué que nous, nous répétons la petite chanson qu’il est si content d’entendre et puis bonsoir.

 Les chambres sont spacieuses, fraîches très propres , ainsi que des lits où il fait bon s’étendre à son aise. Un éclair de temps pour comparer la situation  à celle d’hier et c’est un lourd sommeil qui s’empare de toutes.

 

Mercredi 13 avril


 Réveil à 4 heures, mais il faut attendre Madame dont la montre retarde d’une heure. Il fait grand jour quand nous repartons vers Laghouat. Amèrement quelqu’un  fait remarquer que le but du voyage est atteint et qu’il faut changer des paroles à nos chansons «  Nous revenons du M’Zab »

 Arrêt à Berriane ; Madame tient absolument au chant des puits. Toute l’Oasis chante en effet dès notre arrivée ; il ne manque que les tourterelles  et le clair de lune pour imaginer l’Oasis de Ghardaïa, sa vie enchantée des mois d’été…

Un puits. Un âne et un mulet, guidés par un robuste enfant, tirent les cordes qui remontent à la surface du bassin, les outres emplies d’eau qui se vident d’un seul coup ; le crissement lent et régulier des poulies, la chute claire de l’eau dans le bassin s’harmonisent et répondent à des bruits lointains sous les palmiers.

Un autre puits. C’est un aveugle, émouvant et triste qui conduit les animaux de traction. Résigné, toute son existence se résume dans cet automatisme du retour des cordes et du chant de l’eau et des poulies…

 Une nuée d’enfants (sachant qui nous sommes) s’est précipitée au devant de nous. Les plus instruits nous expliquent gravement, ce qu’on leur a appris à l’école sur les productions agricoles, la production magnifique en orge en particulier. Les plus petits et les fillettes se contentent de demander des sous en échange de carottes, avec des sourires ravissants et des yeux malins. C’est escorté de tout cela, que nous revenons au car ; malgré les airs olympiquement furibonds à Madame, cette marmaille nous harcelle jusqu’à prendre la course des deux côtés du car qui reprend la route.

 Cette dernière, par le clair matin, est moins triste que avant-hier ; les montagnes apparaissent moins raides, moins écrasantes. Le bordj de Tilrempt semble encore éloigné ; nous nous y arrêtons à 10 heures pour faire boire Camélia.

Des militaires, des voyageurs à l’arrêt, admirent notre entrain, s’étonnent de notre idée d’aller de Laghouat---   à Djelfa.


En route. Le temps est lourd. Nous reprenons la piste sur laquelle nous avons passé une nuit en panne ; le chauffeur n’oublie pas d’être très prudent en repassant à l’endroit inoubliable ; nous continuons en mesurant avec effroi le chemin qu’il nous avait fallu parcourir à pied pour aller chercher du secours, puis nous arrivons, par un temps sentant l’orage proche, en plein midi à

 Laghouat (bis). Des attroupements se sont formés autour de nous. Le maître d’hôtel polyglotte (peut-être un ex légionnaire), s’empresse de son air le plus ému à compatir à nos malheurs passés. Tous les gamins dont l’épaisseur de crasse peut se chiffrer de 0 à 20 dixièmes de millimètres, s’égosillent à répéter les chants qu’ils ont entendus de nous l’autre jour. Mais il nous manque notre brave Bachir. Le voici pédalant fiévreusement sur une bicyclette, de laquelle il descend en s’empêtrant dans le cadre et en trébuchant pour courir à nous avec l’air ahuri de quelqu’un dérangé en pleine sieste. Il arrive assez tôt pour serrer les mains à Lucette, penchée des ¾ de son corps à une portière du car, qui démarre flanqué de notre cicérone haletant qui nous jette des « bon voyage » et des « au revoir » de la voix et du geste.

 Entre Laghouat et Djelfa la route est longue et triste. Les voyageuses les plus affamées grignotent quelques minces tranches de pain. Les moins malades occupent l’arrière du car ; elles sont en verve ; elles proposent des charades ingénieuses, des jeux d’esprit…etc…dont les enjeux grossiront la caisse promotionnelle (la chère valisette métallique couleur peau de crocodile). Ensuite, revue de music-hall, imitation de cris de basse-cour et d’instruments d’harmonie, exhibition de danse arabe par Mauricette, avec des you you à l’orchestre. On épuise encore la série des chants en chœur, pour les reprendre en rentrant à

Djelfa. Malgré l’heure tardive de notre arrivée, les gens de l’hôtel nous reçoivent fort gentiment, ils nous préparent un excellent et copieux déjeuner que nous absorbons toujours à la va vite vers 17 heures. Après avoir exprimé nos remerciements et notre satisfaction (en chantant évidemment), nous nous engouffrons une fois de plus dans Camélia. Les chants de départ sont tellement bruyants que Madame doit nous inviter à la modération ; des conversations par petits groupes, puis les chants reprennent avec Pado comme chef de chorale. Pendant ce temps la nuit est venue sans que la lune apparaisse, et qu’au contraire un ciel noir commence à laisser perler des gouttes de pluie (nous ne pourrons pas visiter l’Oasis ce soir). A une intersection de routes, Camélia fait une embardée, dérape légèrement, hésite puis s’engage résolument sur la bonne voie pour atteindre

Bou Saada. Madame annonce que nous descendons à l’hôtel transatlantique (au transat…), dénomination pompeuse de réputation universelle du meilleur confort, en un mot l’Hôtel paradis. Nous y fonçons ; mais les anges du dit paradis accueillent avec une hauteur dédaigneuse nos costumes de voyage froissés et poussiéreux, nos foulards négligemment noués autour du cou ; ils doivent nous prendre pour des réprouvées et nous donnent congé en nous disant « nous ne vous attendions pas ». Angoisse pessimiste des unes, satisfaction visible très optimistes d’autres qui croient fermement trouver un autre paradis, avec de bons anges. Madame hésite, puis consulte, non le guide bleu, mais l’itinéraire expédié par la compagnie des wagons-lits qui lui indique l’hôtel Beauséjour (nom prometteur qui n’a pas menti). Camélia fait un demi tour rapide et impeccable pour rejoindre le beau séjour. Parfait. Hôtel bien éclairé, comme d’ailleurs toute la ville, patron et personnes sympathiques, table d’hôtes fleurie, excellent souper avant d’entrer dans des chambres propres et confortables.


Jeudi matin 14 avril.


 Réveil très matinal entre 5 et 6 heures, petit déjeuner copieux mais rapide ; il faut aller visiter l’Oasis où nous trouvons le fond caillouteux d’un oued à sec au dessus des berges duquel nous admirons un talus touffu dont la verdeur a été avivée par la pluie de la veille. Par des ruelles étroites en pente raide  et glissante, entre des remparts visqueux, nous montons vers un village à peine en éveil d’où nous avons un magnifique point de vue. Nous en redescendons à travers les rochers pour traverser le coin d’un nouveau village qui porte des marques d’un début d’européanisation ; arrêt assez court devant la maison de Annet et en route pour la dune. La pluie a tamisé la surface du sable et lui a donné une teinte jaunâtre. Photos, photos, photos, en attendant Camélia qui a pris fantaisie de faire mentir son chauffeur en venant en retard au point de rendez-vous, nous allons la rejoindre où elle se trouve, et nous y installons, mais ce n’est qu’après s’être montrée fort récalcitrante qu’elle se décide à démarrer, au trois quart encerclée par la population, les marchands de flûtes et de bijoux arabes. Notre départ est salué de bruyantes ovations. Nous roulons à travers une campagne verdoyante, sillonnée de nombreux petits oueds à sec, analogues à celles des environs de Constantine et arrivons ainsi à

Aumale. Tout le monde descend : téléphone, achat de goûter, promenade devant les magasins et boutiques sans susciter de curiosité anormale, et  on repart.

 La route a des tournants qui sans être dangereux donnent un singulier vertige. Les chants reprennent. Le mont Dirah s’offre à nos yeux. Au loin nous apercevons le massif du Djurdjura ; une plaque indique que le col de Tirvinda dans ce massif, est bloqué par la neige.

Elle a du fondre depuis ; le col a du être dégagé ; Madame rassure le chauffeur et nous appuyons sa décision, nous monterons au Djurdjura. Nous nous engageons sur une route en lacets, étroite, bordée d’arbres serrés, d’une végétation robuste ; plus loin ce sont des frênes dressant leurs branches comme des chandeliers, puis des chênes, des pins… Nous montons toujours et nous pouvons déjà apercevoir vers la plaine les formes géométriques des terrains cultivés, les groupements serrés de maisons Kabyles, ternes comme la terre, avec leurs toitures d’un rose délavé. Encore des villages perchés sur des crêtes qui se montrent à nous aux tournants de la route quand nous nous y attendons le moins. Puis la végétation se raréfie, parait plus maigre, plus chétive pour disparaître complètement  plus loin où nous sommes en pleine montagne, par un air devenu vif. Nous avons laissé les villages Kabyles en bas sur les pentes. Plus bas encore dans la vallée, l’oued sahel déroule le long ruban de son lit calme. Bientôt nous trouvons des plaques de neige, des sapins, nous avançons dans un décor alpestre rare pour cette région dont les habitants montrent des mines effrayées  qui font l’amusement de Mlle Carrau. Notre avance est tout à coup arrêtée par une masse de neige que Camélia ne peut franchir. 

 Paulette et Eugénie descendent bravement et tentent la folle entreprise de dégager la neige avec les mains ; leur exemple est suivi, mais serions-nous cent que la chose demanderait des heures et des heures de travail acharné. Toutes, en cœur et en cadence nous essayons de comprimer la neige par des sauts successifs multipliés. Certaines songent alors à descendre prendre des pelles à une auberge peut-être 20 km plus bas. C’est un envol de voyageuses sur la route blanche. Madame l’arrête par des appels désespérés, et fait une belle sortie aux imprudentes. Scrutant l’horizon, le chauffeur aperçoit bien loin quelque chose sur la route et le baptise chasse-neige, ce qui est contesté par beaucoup toutes occupées à voir s’approcher lentement la chose, notre moral ne faillit pas, il est à son summum lorsque nous reconnaissons vraiment que c’est un chasse-neige ; une petite attente encore et il nous a rejointes. Vite des photos du traineau sauveteur, de ses occupants, de Camélia dans sa fâcheuse position , des normaliennes dans la neige et l’on repart

Le chasse-neige ouvre la marche en même temps qu’on suit son sillon de 3 mètre de largeur, bordé de l’amoncellement  en chaine d’une neige ça et là ternie qui roule parfois sur les pentes de l’un des côté de la route (Paulette et Eugénie ne pouvant espérer aboutir au même résultat). Assez lentement nous atteignons le

Col de Tirvinda. Arrêt à une altitude que nous apprécions ; nous trouvons ici de petites fleurs de montagne, prenons encore des photos, admirons le goût parfait de la décoration du refuge jaune et bleu. Le conducteur du chasse-neige veut nous faire part d’une découverte qu’il vient de faire. Il faut descendre du car pour voir. Madame échange ses chaussures contre celles de Mauricette Rudel et toutes ensembles allons voir  le chose curieuse, et c’est en fait une caravane de chameaux dans la neige. Les animaux ne se sentent pas dépaysés. Ils doivent se croire dans du sable plus blanc, plus doux et aussi plus froid que celui qu’ils ont l’habitude de fouler de leurs pieds. Quand à l’air, il est à cette heure peut-être moins froid que celui du désert. Photos sur photos, les chameaux mis de côté, nous pourrons essayer de faire croire que nous avons fait une excursion dans les alpes.

 En route de nouveau. Encore des paysages alpestres avec des cèdres  et des sapins accrochés aux flancs des montagnes, des petites avalanches rayant et pointillant la nappe blanche. Dans le car des cris d’admiration à chaque tournant de la route. Les sites les plus merveilleux décorés par le court retour d’hiver se reflètent dans 23 paires d’yeux avides de beau. Quelle chance inouïe, en moins de 48 heures être transportées, sans avion des sables du désert vers des montagnes rappelant les alpes à s’y méprendre. Notre vitesse nous fait rejoindre un troupeau complet de moutons qui tient toute la faible largeur de la route, impossible de passer, les pasteurs répondent par la plus grande inertie aux coups de Klaxon et aux véhémentes insultes du chauffeur, il faut aller au ralenti ; tout à coup, un des moutons de tête s’écarte un peu du milieu de la route ; comme ceux de Panurge, d’autres le suivent et Camélia peut lentement se frayer un passage pour reprendre nerveusement sa course sur

Michelet Arrivée à 15h30. Accueil sympathique à l’hôtel ; on s’occupe de nous avec des marques de dévouement. Un phonographe permet à quelques enragées de danser un instant en attendant leur tour de passage au cabinet de toilette ; ensuite un déjeuner rapidement pris nous sommes prêtes à partir en visite au village kabyle. Un guide très averti croit nous faire admirer les progrès en europénisation réalisés par ses compatriotes, il nous fait pénétrer dans des chambres avec des lits métalliques à matelas, chaises et semblants d’armoire à glace ; ce n’est pas tout à fait ce que nous désirions visiter. Il nous montre encore une maisonnette blanche à volets verts ainsi que des volets jaunes très curieuse. Enfin, l’une de nous partie au flanc gardé, nous fait découvrir un vrai gourbi kabyle avec son foyer primitif où se change une bonne vieille toute ahurie et tremblante ; nous voyons les réserves pour les figues et pour les jarres d’huile, faisant corps avec la maison en même temps  que laquelle elles ont été construites. Dans divers coins nous photographions de très belles femmes sympathiquement moqueuses aux douces voix d’hirondelles que pourraient jalouser beaucoup de femmes européennes ; nous photographions encore de la marmaille aux magnifiques yeux clairs et à la peau fraîchement veloutée ; et l’on regagne le car. Nouveau départ en chantant, autour de nous des massifs de bruyère fleurie, de frais bosquets d’aubépine et de genêts éclatants de leur floraison. Nous atteignons

Fort National juché sur une crête, ses remparts d’aspect moyenâgeux défient le temps et les hommes. Partout des fleurs, des parfums, de la paix sereine.
 Le soir descend, la fatigue gagne les voyageuses en foulard qui vont demander l’hospitalité de Camélia qui repart de son train habituel. La lune monte, brillante, pour éclairer les massifs devenus sombres.

Le car file sur la route large et sûre, sous une haute et immensément longue voûte d’eucalyptus aux larges troncs blancs et gris, pour nous faire parvenir à

Tizi Ouzou. Camélia retentit de nos chants qui provoquent des attroupements et réjouissent un instant la population, puis file à nouveau sur la route du retour. Les lumières des villes ou villages traversés n’éveillent plus les dormeuses, fini le réflexe de la plus grande partie du voyage qui maintenant semble présenter moins d’attrait, on chante moins.
Par
Ménerville où toutes les voyageuses se sont à peu près éveillées, on revient bientôt à Alger. La ville et ses alentours, vus sous un autre angle que la première fois sont une nouvelle cause d’émerveillement. Après le désert et les alpes algériennes, à 1750 mètres d’altitude, nous voici en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, presque à 0 dans une ville d’un entier modernisme dans une grande partie de sa superficie, voici la mer (le port, l’avant-port et les hautes eaux) avec ses reflets argentés. Il est 22h30 quand nous retournons à l’hôtel Bellevue. On jette un dernier regard sur Camélia à laquelle nous faisons de touchants adieux, ainsi qu’à son héroïque et sympathique chauffeur qui, malgré les fatigues que nous lui avons imposées, regrette amèrement notre séparation ; il préfère véhiculer des groupes joyeux comme le nôtre que des excursionnistes Anglais, Allemands ou autres qui n’ont pas le don de lui donner « du cœur à l’ouvrage ».

Le repas, servi sur une longue table d’hôtes magnifiquement fleurie, est pris cette fois lentement comme il convient. Ensuite, installation pour le repos. Yvette et Marie n’ont pas de chambre. Elles découvrent à grande peine que dans celle de Nono et Paulette il y a deux lits qui peuvent recevoir 2 voyageuses chacun, à la condition sine qua non que le duo le plus volumineux, c'est-à-dire celui de Nono et Paulette occupera le lit le plus spacieux. Ainsi fût fait. Le sommeil est profond de toutes parts, aucune n’entend ronfler la voisine.

Vendredi 15avril


Réveil à 7 heures environ, déjeuner à 8 heures, pas de grandes retardataires. Nous montons dans un des plus archaïques cars d’une compagnie garagiste, un vieux rebus d’un affreux marron. Comme il est découvert, on peut cependant s’y installer assez à l’aise. Qu’allons-nous chanter en traversant la ville ? Improvisons quelque chose dont le titre sera « on a tout vu ». Nous nous engageons sur la route côtière en direction de Cherchel.

 La mer, sous la lumière solaire est d’un bleu qui fait pousser des cris d’admiration. Une camionnette nous suit, ses occupants sont égayés de nos chants les plus gais. Des fleurs de tous côtés, de la verdure à profusion ; des géraniums robustes et sains nous incitent à une comparaison bien désavantageuse avec ceux des jardins de l’école, misérablement grêles. Nous traversons des villages ultra coquets dont la population exhale une franche gaieté et une belle santé. Nous quittons un instant la côte pour aller au…

Tombeau de la Chrétienne. D’où vient son nom ?... Monument de pierre, extérieurement triste et imposant. L’intérieur est bien plus triste encore. Le guide bleu nous apprend qu’il ne contient que du vide, auquel on peut accéder par un boyau étroit et bas où il faut se glisser à quatre pattes, ce qui promet une belle collection de crapauds et de toiles d’araignées. Nous tentons néanmoins l’exploration. Comprimées, étouffées, épouvantées par l’aspect des lieux et les émanations qui s’en dégagent, les visiteuses en tête de file font demi-tour entrainant vers la sortie leur suite qui est devenue leur avant-garde, et tout ce monde va se divertir pendant que Nono et Juliette, engagées dans un dédale (stoïquement ou imprudemment), n’ayant pas suivi immédiatement le mouvement de retraite font retentir les voutes du tombeau de leurs glapissements, en particulier de ceux de Nono qui appréhende la colère de Madame. Les deux héroïnes de ce petit aparté finissent par repasser le boyau et venir au grand air admirer le car marron maintenant tout pimpant, sous les fleurs dont les normaliennes l’ont paré en le baptisant Pétrouille.

Tout le monde rassemblé, Pétrouille nous emporte allègrement vers la côte, s’arrête brusquement à

Tipaza. Nos bruyantes manifestations admiratives s’envolent vers la mer, les rochers et les fleurs ; le peu de ruines que notre chauffeur-guide sait nous montrer ne provoque parmi nous qu’un tiède intérêt ; nous repartons sur

Cherchell, où nous descendons dans un hôtel estimé le plus chic de la localité. Aussi Madame nous fait-elle enlever nos foulards, même nos chapeaux et apporter de l’ordre dans l’ensemble de notre tenue. Nous voici dans la grande salle du restaurant ; par les larges baies vitrées nous apercevons au premier plan une immense place ombragée de robustes platanes ; au-delà : le bleu de la mer. La gaieté du repas est avivée par une visite inattendue, celle d’un petit monsieur aux cheveux blancs, taillés à la Jeanne d’Arc, costumé de noir avec veston à col arrondi, chapeauté d’un large feutre noir (genre chapeau d’artiste), cravaté d’une volumineuse Lavallière. Il entre d’un pas alerte, fait la moitié du tour de notre table sans rien regarder, s’arrête ; du pouce et de l’index il enlève son feutre d’un geste ample, et demande Madame ; elle se trouve en face de lui ; il refait en sens inverse un demi tour de la table ; nous comprimons toutes difficilement un accès de fou rire prêt à exploser, y compris Madame devant laquelle le bizarre Monsieur vient faire une cérémonieuse courbette et annoncer solennellement « Le conservateur du Musée ». Aucun étonnement chez Madame, à première vue de ses manières et de son costume, on devait déduire que ce devait être un Conservateur.

 Nous vidons la dernière gorgée d’un champagne offert par Madame et par Mademoiselle Carrau et tout le monde suit Mr le Conservateur.

Au musée , ce dernier sait gentiment nous en imposer par ses propos plein d’esprit et sa science archéologique ; nous n’avons plus envie de rire et nous intéressons aux précisions succinctes qu’il donne sur les objets et les statues, nous faisant revivre l’histoire ancienne par la pensée. Un autre groupe de visiteurs s’approche de nous, il s’y trouve le maire de Cherchell qui ne se prête aucunement aux présentations que tente Mr le Conservateur, d’où dépit très compréhensible chez nous toutes. Nous continuons à  écouter les explications qui nous sont données, lorsque au milieu d’un massif de fleurs nous croyons reconnaitre dans une statue, celle de Constantin, assez semblable à celle qui se trouve devant la gare de Constantine ; Trajan ou Auguste rectifie Monsieur le conservateur, nouveau dépit, nous aurions mieux fait de nous taire, d’autant moins qu’il y a là Mr le Préfet de Strasbourg.

 Au musée nous sommes canalisées vers l’Ecole Ouvroir. Les quelques ouvrages qui nous sont montrés nous édifient pleinement sur l’habileté et la patience des fillettes qui viennent se grouper là pendant les vacances, à la façon scoute : en hirondelles, en mésanges,…etc…, entretiennent leurs effets et leur école.

 Puis nous retournons vers Pétronille ; à notre approche des marchands et marchandes de dentelles de tous âges viennent nous harceler et pour nous en débarrasser nous devons effectuer quelques menus achats précipités.

 On repart. On part sans avoir aperçu le frère de Mlle Carrau que nous espérions  avidement voir à Cherchell ; nous laissons notre sœur ainée en sentinelle d’arrière-garde ; elle le trouvera son frère et elle nous rejoindra avec lui. Et en effet ils nous rejoignent vite sur la route de Blida aux abords fleuris. Ils sortent Madame du car pour l’installer dans leur auto personnelle. Honorons-les de nos chants les plus gais. Deux bérets s’envolent par les portières, ceux de Léone et de Françoise. Notre nouveau chauffeur, aussi dévoué sue le précédent, essaie de les retrouver, en compagnie de Paulette qui se déchire les mains à un buisson d’aubépine. On repart. Nous sommes suivies par une petite auto occupée par des gens très en gaieté qui nous offrent des fleurs, prises au passage par Georgette Cournac qui se livre à cet effet à une dangereuse gymnastique et nous arrivons à

Blida. Nous sommes attendues, tout au moins certaines d’entre nous ; Echanges d’embrassades et de poignées de mains entre connaissances. Nous aurions voulu visiter le Bois sacré. Impossible ! Madame qui nous attendait  sur la place prend des photos et nouvel engouffrage dans le car pour

Boufarik. Mlle et Mr Carrau nous font visiter pièce par pièce leur maison neuve dotée d’une installation toute moderne et entourée d’un superbe jardin. La visite nous conduit à une vaste pièce féériquement éclairée, où Mlle Carrau nous a fait préparer une table abondamment garnie de tout ce qui peut flatter les palais les plus délicats. On mange, on boit, on chante et l’on prend congé ; Madame encombrée de fleurs, ses filles de tout ce qui restait sur la table (moins la vaisselle). Nous espérons mentalement de ne jamais oublier l’accueil chaleureux que nous venons de recevoir et reprenons le car en gaieté pour

Alger (ter). Nous traversons la ville pour nous rendre à l’hôtel, afin d’absorber le repas du soir assez rapidement pour ne pas manquer le départ du train qui doit nous ramener vers Constantine. Nous reprenons le car emportant tout ce que nous avions apporté de Constantine + les achats – les pertes de voyage = équivalence approximative. C.q.f.d. nème  traversée d’Alger, court arrêt devant un bar dont nous avons éveillé la curiosité des consommateurs, pendant que Yvette s’est rendue chez un marchand de chocolat. Le train principal ne sera pas manqué, sauf volontairement par Lucette, Françoise, Gachotte, pour des considérations spéciales aux localités où habitent leurs parents et autres. Toutefois on attend Eugénie qui s’attardant avec des amis, fait passer par des transes d’angoisse, Madame qui s’affolant, crie de répétés « ne me quittez pas ».


 Alger « au revoir ». A la gare nous occupons au mieux les compartiments qui nous sont réservés. Aurons-nous de nouveaux marquants incidents en route ? Nous occupons 3 compartiments, celui de Madame et deux autres. Celles qui veulent dormir s’installent le plus commodément possible. Dans le deuxième la fatigue n’est pas suffisante pour supprimer l’envie  de causer. Dans le troisième il y a Nono, (c’est tout dire).

 A la gare d’Agha, des campeurs masculins un peu trop audacieux et élégants dans leurs costumes de sport, envahissent notre couloir et prétendent encore s’introduire dans nos compartiments réservés (un peu en fraude). Leurs façons sont un peu trop cavalières pour des jeunes filles de notre âge et de notre situation. Ils ne doivent pas avoir des sœurs ou des cousines à l’Ecole normale ou en pension écolière, car ils s’abstiendraient de chanter, même doucement ce qu’ils chantent à tue tête pour passer leur temps de façon soit disant agréable, des chansons ne décelant pas la moindre élévation d’esprit.

. …. Là Nono …, proteste et s’agite. Réaction de Mylène, de Marie et de Campette qui veulent dormir. Nono crie très fort, traite les campeurs d’idiots.

Une altercation se produit entre les occupants du compartiment ; elle revêt le caractère d’une certaine gravité car il y a échange de gifles, de coups de poings et de pieds. On songe à en référer à Madame qui à demi endormie répond de façon plutôt vague. Puis l’envie de dormir calme les antagonistes. Les portières se ferment, les grandes lumières cèdent leur place aux veilleuses, les rideaux sont baissés. Dans le couloir les peu recommandables campeurs ne désarment pas, toutes les cinq minutes ils ouvrent la porte du compartiment et font se rouvrir des yeux qui ont grand besoin de rester fermés. Myette tire à nouveau la porte croyant qu’elle s’était ouverte toute seule. La porte se rouvre, un monsieur passe la tête dans l’entrebâillement, Marie Rose sentant l’air frais du couloir et ne voyant pas la tête du Monsieur tire encore la porte, un cou est coincé, résistance, Marie Rose tire plus fort regardant à terre ce qui peut empêcher la fermeture (un soulier peut-être). Le Monsieur tout congestionné par un commencement de strangulation ne doit son salut qu’à l’intervention de Marie, assez réveillée pour voir ce qui se passe vers le haut de la porte.

 A Bouira les campeurs nous font l’agréable surprise de descendre. « Bon voyage Messieurs et ne revenez plus ». Nous allons pouvoir dormir en paix.

 A Bordj bou Arréridj. La nuit commence à blanchir. Yvette descend en bousculant préalablement les militaires et les indigènes empilés dans le couloir.

Samedi 16 avril


 A Sétif Myette et Marie font leurs adieux au reste la troupe encore mal éveillée, bien qu’il fasse jour. Allongée sur la banquette, un bras sur une valise, les cheveux embroussaillés, Madame tend sa main sans presque regarder et se rendort. Plus loin  le grand jour s’est fait, tout le monde est bien éveillé. Madame nous offre le petit déjeuner au wagon restaurant, malheureusement celui-ci est absent et nous restons aussi penaudes qu’affamées, nous nous rattrapons sur les gâteaux de Mlle Carrau.

 A El Guerrah descente des Batnéennes qui changent de train, faisant un grand vide dans la caravane.

 Au Kroubs nouveau vide par les Bônoises qui chantent la chanson de ralliement de leur nouveau train (pas de réponse).

 A Constantine Madame et les constantinoises se retrouvent sur les quais. Elles ne sont pas très présentables, un peu sales, froissées, ébouriffées, tristes et fatiguées, les bras encombrés de bagages. Embrassades d’adieux, les élèves rejoignent leurs familles en ville, tandis que Madame, des coussins sous les bras, à la main de l’autre, une valise trouée d’un coup de talon au cours du voyage, remonte péniblement la célèbre côte vers l’école.


 Ainsi finit le voyage de la promotion bleue, riche en péripéties émouvantes dont beaucoup de détails palpitants ont été omis dans ce récit.





VOYAGE DE PROMO EN 1938

Document et photos conservés par Lucette CHARRIER et transcription faite par sa fille Marie-Hélène CIMINO.

1er rang de gauche à droite

2°rang

3°rang

CLAUDOT Suzanne

DROIT Mauricette

 EVEQUE Simone

RUDEL Mauricette

BAGUER Georgette

OLIVES Claire

VAGNON Honorine

CAMPO antoinette (campette)

TAVARD Paule (Paulette)

CHARRIER Lucette

COURNAC Georgette

TEUMAT Charlette


DUBOIS Yvette

PADOVANI Pascaline(Pado)


CAPDET Françoise

BARDoL Juliette


MILLOT Marie

BRESSON Léone



BARBOTEU Marie (Myette)